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Friday, October 07, 2011
Chercheurs, Managers de demain: L'article complet
Chercheurs, Managers de demain: L'article complet: Voici la version finale de l'article, dont nous avions publié l'abstract ici . Le téléchargement du fichier pdf est possible avec le compte ...
Wednesday, September 21, 2011
Transmédia ou Composition ?
On entend beaucoup parler de transmédia.
Voici la définition reprise de wikipédia :
"Le transmédia (de l'anglais transmedia) est une méthode de développement d'œuvres de fiction ou de produits de divertissement qui se caractérise par l'utilisation combinée de plusieurs médias pour développer des univers de fiction et exploiter des franchises commerciales, chaque support employé développant un contenu différent."
(cette définition peut certainement porter à discussion, mais là n'est pas mon propos)
Selon Jenkins, « une histoire transmedia se développe sur plusieurs supports media, chaque scénario apportant une contribution distincte et précieuse à l'ensemble du récit. » Il ajoute que « cette nouvelle forme de narration permet de passer d'une consommation individuelle et passive à une consommation collective et active. »
Si l'on se positionne du coté de l'offre (pour schématiser : des industriels) le transmédia est donc une offre globale dans laquelle un contenu, une trame, se voit décliner et adapter indépendamment selon les supports.
Ma réflexion menée sur les collectifs web 2.0 a mis en évidence le phénomène de composition, c'est-à-dire d'une forme de sélection individualisée des supports (je parle plutôt de formats techniques) au sein des collectifs.
Il me semble donc nécessaire, pour tirer pleinement parti du transmédia d'aller au delà d'une simple estimation quantitative. Autrement dit, ne pas se contenter de :
- tant de clics sur mon site web,
- tant de clic sur mon site web pour mobile
- tant de vente de livres
- tant de places de cinéma
- tant de joueurs
- ...
Car ces chiffres masquent une complexité bien plus forte qui reste intimement reliée au modèle communautaire, et en constitue donc un indicateur.
Partons d'une "série transmédia", star wars ou start trek par exemple qui offrent des séries télévisées, des films, des jouets, des jeux-vidéos, ainsi que des "fan-arts" ou des objets de consommation courante qui exploitent à fond la licence (mug, tee-shirt, cahier, crayons, etc).
Les fans d'une série peuvent construire un collectif, voire une communauté, parce qu'ils peuvent la vivre différemment selon les supports qu'ils "consomment". Certaines règles communes émergent, et parfois même des clans, des tendances internes, qui font que la supposée communauté n'est pas si homogène que cela, dès lors que l'on creuse un peu plus.
Je ne pense pas que l'on puisse proposer un degré d'adhésion, ou d'autorité, qui serait proportionnel à la quantité de support consommée. Chacun de ces médium, porte une valeur, une force, qui est négociée socialement. Concrètement, c'est ce que l'on retrouve lorsque des "puristes" plébiscitent certains supports tout en dénonçant la dérive commerciale d'autres.
La force du transmédia n'est donc pas dans l'élargissement de audience mais dans la diversification des modes d'engagement. Ces modes d'engagement, pluriels, oscillent entre l'adoption de styles partagés (faire partie du groupe) et l'innovation/hybridation (revendiquer son individualité).
Sauf que la valeur attribuée à chaque item n'est pas prescrite par l'offreur, c'est le collectif qui la construit.
Tentative d'explication en image :
Aujourd'hui le Transmédia est uniquement observé du coté de l'offre alors même que sa confrontation avec les usages effectifs pourrait remettre en cause certaines idées reçues.
Voici la définition reprise de wikipédia :
"Le transmédia (de l'anglais transmedia) est une méthode de développement d'œuvres de fiction ou de produits de divertissement qui se caractérise par l'utilisation combinée de plusieurs médias pour développer des univers de fiction et exploiter des franchises commerciales, chaque support employé développant un contenu différent."
(cette définition peut certainement porter à discussion, mais là n'est pas mon propos)
Selon Jenkins, « une histoire transmedia se développe sur plusieurs supports media, chaque scénario apportant une contribution distincte et précieuse à l'ensemble du récit. » Il ajoute que « cette nouvelle forme de narration permet de passer d'une consommation individuelle et passive à une consommation collective et active. »
Si l'on se positionne du coté de l'offre (pour schématiser : des industriels) le transmédia est donc une offre globale dans laquelle un contenu, une trame, se voit décliner et adapter indépendamment selon les supports.
Ma réflexion menée sur les collectifs web 2.0 a mis en évidence le phénomène de composition, c'est-à-dire d'une forme de sélection individualisée des supports (je parle plutôt de formats techniques) au sein des collectifs.
Il me semble donc nécessaire, pour tirer pleinement parti du transmédia d'aller au delà d'une simple estimation quantitative. Autrement dit, ne pas se contenter de :
- tant de clics sur mon site web,
- tant de clic sur mon site web pour mobile
- tant de vente de livres
- tant de places de cinéma
- tant de joueurs
- ...
Car ces chiffres masquent une complexité bien plus forte qui reste intimement reliée au modèle communautaire, et en constitue donc un indicateur.
Partons d'une "série transmédia", star wars ou start trek par exemple qui offrent des séries télévisées, des films, des jouets, des jeux-vidéos, ainsi que des "fan-arts" ou des objets de consommation courante qui exploitent à fond la licence (mug, tee-shirt, cahier, crayons, etc).
Les fans d'une série peuvent construire un collectif, voire une communauté, parce qu'ils peuvent la vivre différemment selon les supports qu'ils "consomment". Certaines règles communes émergent, et parfois même des clans, des tendances internes, qui font que la supposée communauté n'est pas si homogène que cela, dès lors que l'on creuse un peu plus.
Je ne pense pas que l'on puisse proposer un degré d'adhésion, ou d'autorité, qui serait proportionnel à la quantité de support consommée. Chacun de ces médium, porte une valeur, une force, qui est négociée socialement. Concrètement, c'est ce que l'on retrouve lorsque des "puristes" plébiscitent certains supports tout en dénonçant la dérive commerciale d'autres.
La force du transmédia n'est donc pas dans l'élargissement de audience mais dans la diversification des modes d'engagement. Ces modes d'engagement, pluriels, oscillent entre l'adoption de styles partagés (faire partie du groupe) et l'innovation/hybridation (revendiquer son individualité).
Sauf que la valeur attribuée à chaque item n'est pas prescrite par l'offreur, c'est le collectif qui la construit.
Tentative d'explication en image :
Aujourd'hui le Transmédia est uniquement observé du coté de l'offre alors même que sa confrontation avec les usages effectifs pourrait remettre en cause certaines idées reçues.
Thursday, September 01, 2011
les 4 cosmologies de Descola
Il existe quatre grandes façons de concevoir les relations avec les non-humains (essentiellement plantes & animaux)
1 _ les non humains sont pourvus d'une âme ou d'une conscience identique à celle des humains mais ils se distinguent par des corps différents (ex : les achuars)
2 _ les humains sont les seuls êtres dotés de raison, mais ne se distinguent pas sur le plan physique des non-humains (ex : occident)
3_ humains et non-humains partagent des qualités physiques et morales identiques qui se distinguent d'autres ensembles de qualités physiques et morales partagées par d'autres ensembles d'humains et de non-humains (ex aborigènes d'Australie)
4_ chaque humain et chaque non-humain est différent de tous les autres, mais il est capable d'entretenir avec d'autres des rapports d'analogie (ex : Chine, Mexique
Philippe Descola, Diversité des natures, diversité des cultures, bayard, les petites conférences, 2010. p51.
Friday, July 15, 2011
Hopala, La Bretagne au monde : article "La diaspora bretonne à la rencontre du web"
"Hopala, La Bretagne au monde" est une revue au format original.
Le dossier de ce numéro 36, débat de la "Bretagne Virtuelle".
J'y signe un article intitulé "La diaspora bretonne à la rencontre du web".
À noter un très bon article de Mariannig Le Béchec sur le web régional breton.
Le dossier de ce numéro 36, débat de la "Bretagne Virtuelle".
J'y signe un article intitulé "La diaspora bretonne à la rencontre du web".
À noter un très bon article de Mariannig Le Béchec sur le web régional breton.
Monday, June 27, 2011
La première thèse de doctorat de l'Institut de Locarn
Un rapide document de vulgarisation de ma thèse à destination des adhérents de l'Institut de Locarn.
Pour lire en ligne
Pour lire en ligne
Friday, June 24, 2011
la diaspora bretonne dans le livre Lobby Breton de Clarisse Lucas
Il y à quelques jours sortait le livre Lobby Breton de la journaliste Clarisse Lucas.
Je n'ai lu que les quelques pages traitant de la diaspora, voici un extrait du courrier que je me suis permis d'envoyer l'éditeur Roger Faligot :
Bonjour monsieur,
je me permets de réagir à la publication prochaine, du livre cité en
objet du mail.
Je ne remets pas en cause le travail effectué ni la qualité général de
l'ouvrage sur lequel je ne porterais pas de jugements. Je me permets
juste quelques remarques sur le chapitre concernant "la diaspora
bretonne", que j'ai pu lire.
Je relève entre autre :
"explique Simon Le Bayon" (p305), "Simon Le Bayon note" (p306), "écrit
encore Simon Le Bayon" (p307). ainsi que toutes les autres références
indirectes "constate l'animateur du site", "poursuit-il"...
Compte tenu du fait que j'ai écrit beaucoup de choses sur le sujet,
c'est avec plaisir que je constate que mon travail suscite un intérêt.
Certes, il y a sur le fond, quelques erreurs et imprécisions [...].
Mais passons, car là n'est pas l'objet de l'ouvrage, et ce n'est pas sur
ces quelques imprécisions que mes remarques portent. Non, il s'agit
surtout de la façon dont mes paroles ou mes écrits (car on ne sait
jamais trop) sont repris.
Certaines des phrases entretiennent le flou sur la nature des propos
rapportés. Le lecteur peut ainsi croire que j'ai tenu ces paroles avec
Me Lucas, or cela n'a jamais été le cas.
Comme je le disais, j'ai écris, depuis 2007, pas mal de choses
sur le sujet, une thèse de doctorat, des articles scientifiques, et
plusieurs articles de vulgarisation. Mais là encore, alors que le
contenu être repris et parfois adapté de ces
articles publiés, ces derniers ne sont pas indiqués.
Je conviens du fait que les usages de citation dans ce type d'ouvrage ne
soient pas aussi exigents que les règles inhérentes à la publication
scientifique, néanmoins, il me semble essentiel, pour ne pas dire
déontologique, de citer ses sources, surtout lorsqu'elles sont écrites,
publiées et publiques.
...
Je n'ai lu que les quelques pages traitant de la diaspora, voici un extrait du courrier que je me suis permis d'envoyer l'éditeur Roger Faligot :
Bonjour monsieur,
je me permets de réagir à la publication prochaine, du livre cité en
objet du mail.
Je ne remets pas en cause le travail effectué ni la qualité général de
l'ouvrage sur lequel je ne porterais pas de jugements. Je me permets
juste quelques remarques sur le chapitre concernant "la diaspora
bretonne", que j'ai pu lire.
Je relève entre autre :
"explique Simon Le Bayon" (p305), "Simon Le Bayon note" (p306), "écrit
encore Simon Le Bayon" (p307). ainsi que toutes les autres références
indirectes "constate l'animateur du site", "poursuit-il"...
Compte tenu du fait que j'ai écrit beaucoup de choses sur le sujet,
c'est avec plaisir que je constate que mon travail suscite un intérêt.
Certes, il y a sur le fond, quelques erreurs et imprécisions [...].
Mais passons, car là n'est pas l'objet de l'ouvrage, et ce n'est pas sur
ces quelques imprécisions que mes remarques portent. Non, il s'agit
surtout de la façon dont mes paroles ou mes écrits (car on ne sait
jamais trop) sont repris.
Certaines des phrases entretiennent le flou sur la nature des propos
rapportés. Le lecteur peut ainsi croire que j'ai tenu ces paroles avec
Me Lucas, or cela n'a jamais été le cas.
Comme je le disais, j'ai écris, depuis 2007, pas mal de choses
sur le sujet, une thèse de doctorat, des articles scientifiques, et
plusieurs articles de vulgarisation. Mais là encore, alors que le
contenu être repris et parfois adapté de ces
articles publiés, ces derniers ne sont pas indiqués.
Je conviens du fait que les usages de citation dans ce type d'ouvrage ne
soient pas aussi exigents que les règles inhérentes à la publication
scientifique, néanmoins, il me semble essentiel, pour ne pas dire
déontologique, de citer ses sources, surtout lorsqu'elles sont écrites,
publiées et publiques.
...
Monday, May 16, 2011
Pourquoi embaucher un jeune chercheur ? parceque le CIR couvre 100% du salaire d'un jeune docteur pendant deux ans.
Pour plus de détails sur le dispositif (Crédit Impôt Recherche) permettant de couvrir les frais liés à l'embauche d'un jeune chercheur :
http://www.intelliagence.fr/Page/DocteurAndCo/Article.aspx?ArticleId=809
www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20358/le-credit-d-impot-recherche-cir.html
Télécharger la brochure "CIR et jeunes docteurs" (pdf)
Télécharger le Guide du Crédit Impôt Recherche
http://www.intelliagence.fr/Page/DocteurAndCo/Article.aspx?ArticleId=809
www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20358/le-credit-d-impot-recherche-cir.html
Télécharger la brochure "CIR et jeunes docteurs" (pdf)
Télécharger le Guide du Crédit Impôt Recherche
Tuesday, March 01, 2011
“la cartographie de la diaspora bretonne : vers une sociologie des réseaux numériques”
les afterworks de la recherche
“la cartographie de la diaspora bretonne : vers une sociologie des réseaux numériques”
quelques outils de cartographie numérique. Comment faire parler certaines données web (mail, sites, réseaux sociaux, blogs,
etc.) pour leur donner une représentation graphique et manipulable. Le travail de thèse de Simon, autour de la diaspora bretonne servira d’illustration.
09/03/2011 à partir de 19:00
Wednesday, January 26, 2011
Redéfinir le community management
Télécharger le chapitre en PDF
La particularité, et donc la richesse, d'une thèse CIFRE est d'associer une activité de recherche et une pratique professionnelle. Dans mon cas, cette expérience fut particulièrement riche car l'activité professionnelle a facilité l'accès au matériau d'analyse et a ainsi alimenté la réflexion. Si la discussion théorique n'a pas été négligée, une thèse CIFRE reste fortement marquée par l'application opérationnelle pour le monde de l'entreprise. Le poste d'animateur de Diaspora Économique Bretonne, couplé avec la proximité des terrains de la diaspora bretone, nous permet aujourd'hui de proposer une réflexion sur la gestion des collectifs web. Pour une entreprise ou une autre organisation formelle, qui se poserait en sponsor, la question du management des collectifs web reste encore trop approximative. Si l'exercice d'auto-analyse est toujours délicat, il est ici l'occasion de formaliser quelque peu cette expérience pratique et d'en tirer des enseignements. Pour mettre en évidence notre approche, nous la comparerons à une définition usuelle et courante du community management.
Le community management en 2010, une approche marketing
Depuis la fin 2009, dans le milieu assez restreint du « social media », le management de communauté fait l'objet d'un important bruit. Assez peu développé dans la presse grand public, le sujet est plébiscité par les consultants indépendants et les entreprises qui, au travers d'annonces recrutent, généralement en stage, des « community managers ». Le sujet se voit largement traité sur les blogs et les sites spécialisés, où chaque « expert » propose sa propre définition. Malgré cette apparente richesse, la veille que nous avons consacrée au sujet montre une certaine pauvreté du discours et une répétition inlassable des mêmes images, déconnectées de toutes observations ou résultats chiffrés. La mission du community manager s'en trouve réduite à quelques tâches qui appauvrissent d'autant l'intérêt que peuvent représenter les communautés pour une organisation. En forçant le trait, et pour le dire très simplement, le community manager 2010 est un chargé de communication dont la particularité est d'intervenir exlusivement sur les plateformes du web 2.0.
La définition proposée par Frédéric Cavazza constitue un assez bon point de départ, car elle est précise et elle synthétise plusieurs éléments repris dans la blogosphère. Pour Cavazza, le community management est une fonction dont les missions se répartissent au sein de plusieurs rôles. Cavazza met ainsi en évidence les différents savoir-faire mobilisés et les nombreuses tâches qui incombent généralement au community manager. Aussi, il ressort que cette mission ne relève pas d'une personne mais plus d'un groupe, dont la problématique commune est d'assurer et de veiller sur « la présence d'une marque au sein des médias sociaux ».
On voit donc comment les différents rôles présentés par Cavazza se réfèrent à des postes et à un vocabulaire déjà bien présent dans le monde de l'entreprise. La chaîne qui est présentée démarre au bureau d'étude pour aller jusqu'à la production en passant par la qualité. Néanmoins, c'est le marketing et la communication qui, dans cette présentation, imposent leur organisation. Le web 2.0 est alors perçu comme un nouveau canal de communication auquel il faut adapter des objets existants. Mais les métaphores utilisées ne se contentent pas d'illustrer ce nouveau métier. Elles trahissent une conception unidirectionnelle, voire diffusionniste, de la communication. Cela n'est pas étranger à quelques supports matériels abondamment utilisés (édition, télévision, radio, mailing, etc.), mais auxquels nous ne réduisons pas la richesse du marketing. De ce point de vue, le potentiel des technologies de l'information, et plus particulièrement des plateformes du web 2.0, est sous-exploité. Tel que les choses sont présentées, la technique, entendons les plateformes du web 2.0, est pliée et n'offre aucune résistance pour s'adapter aux façons de faire du marketing, qui vise par ce biais à aller à la rencontre des communautés de clients. Nous pourrions presque y déceler une forme de mépris dans la façon dont sont abordées des technologies qui, pour rien au monde, ne remettraient en question des certitudes. Nous évoquons ce point car les postes présentés par Cavazza se contentent de décalquer, sans adaptation ni remise en question, des tâches déjà bien établies dans les services spécialisés. Les plateformes du web 2.0 sont alors perçues comme de simples supports de communication, avec toute la dimension passive que cela comporte.
À côté de cette approche professionnelle du community management, on trouve un discours un peu différent, une sorte de variante plus inspirée. Cette seconde approche présente le community manager comme un leader qui construit naturellement autour de lui une communauté. Dans cette acception, le community manager est un créatif charismatique qui, au travers de ses actions sur le web, draine déjà des admirateurs. Il devient alors un ambassadeur qui associe son nom à une marque et lui apporte un certain crédit. Cette approche s'inspire plus directement du sponsoring où les marques s'associent à des personnalités publiques, des sportifs ou des acteurs. Dans ce cas, la prise de risque est élevée, et le retour sur investissement incertain. (Pour un exemple récent, on peut citer les sponsors de l'équipe de France de football pendant la coupe du monde 2010).
Ces deux approches du community management, laissent donc voir une forme de résistance au changement. Les traditions, déjà bien établies, des professions du marketing, sont seulement adaptées à la marge pour investir le web 2.0. Le risque, en tenant ce type de position fermée sans reconsidérer son mode de travail, est de passer à côté de l'intérêt des collectifs web et d'engager des investissements en pure perte. En considérant le web 2.0 comme un support, le marketing reprend l'idéologie des leaders d'opinion qui diffusent et apportent leur crédit au message, à la marque. Dans le cas des plateformes du web 2.0, les choses sont un plus complexes, car ce qui peut-être perçu comme un espace d'affichage individualisé pour l'annonceur est aussi un espace d'interaction, un cadre d'usages personalisés.
Dans les deux cas, il ressort que la question des moyens et des leviers de pilotage d'une communauté reste entière. L'action du community manager n'est que sommairement décrite et elle se résume à observer-surveiller et à diffuser le message sur les plateformes du web 2.0. Rédiger des pages profils, accumuler des fans, être lu, sont-ce des élément suffisants pour obtenir une quelconque légitimité au sein d'un collectif et auprès des supposés leaders d'opinion ? De quelles prises le community management dispose-t-il en agissant ainsi, en s'adressant à une communauté comme on le fait à un fichier clients ? Face à ces "potions magiques du 2.0", rappelons que l'histoire d'Internet relève plus d'accidents de parcours que d'une stratégie bien huilée.
L'élément essentiel à retenir est que l'on ne maîtrise jamais totalement les réations de la rencontre des techniques et des humains. Le résultat est même bien souvent déroutant tant pour les concepteurs que pour les usagers. Aussi, le web 2.0, qui regroupe une multiplicité d'éléments distincts et très dynamiques, doit être abordé avec beaucoup de circonspection.
Caractériser les collectifs
L'intérêt des marques pour les communautés est un sujet abondamment traité. Ainsi, le marketing tribal (Cova), consiste à diversifier la nature des liens entre un client et une marque. Le lien n'est donc plus tant la consommation du produit ou du service que le mode de vie et les relations sociales qui vont avec. Ce mode de vie et ces relations sociales, sont elles aussi appuyées par d'autres artefacts (jargon, style vestimentaire, accessoires, etc.) sur lesquels l'annonceur n'a pas de prise directe. Avec la multiplicité des acteurs, l'attachement devient socio-technique, favorisant ainsi la solidification des liens et donc, la fidélité à la marque. À la suite de cela, quitter une marque ou un produit revient alors aussi à quitter des amis, des proches, des habitudes. Le point essentiel à retenir de ce type de marketing est l'exigence de la perte de contrôle. Si la marque tente de prendre le leadership, elle court le risque de détruire la dynamique tribale. Dans le community management actuel, c'est le discours inverse qui est tenu, avec un community manager qui est appelé à contrôler sa communauté, à la marquer de sa patte.
Les régimes d'engagement (Thévenot, 2006) offrent une grille de lecture intéressante pour saisir une propriété essentielle des fonctions marketing et communication de l'entreprise, et pour tenter de l'articuler avec notre approche des collectifs web. Ces deux fonctions de l'entreprise relèvent principalement d'un mode de justification en public. Les actions de communication prennent appuis sur des principes supérieurs et des valeurs générales. Cette montée en généralité permet d'agréger un nombre important de personnes, d'avis ou de sympathisants. Ces mêmes valeurs sont déclinées dans l'identité visuelle, le slogan, les spots publicitaires et par les personnalités choisies pour représenter la marque. Ce type de justification en public est là encore étayée par des outils technologiques de médias de masse. La télévision, la radio ou l'imprimé permettent d'adresser un même message à une forte audience. Aussi ce message doit être simple et explicite, compréhensible par le plus grand nombre. Dans ce mode de communication, l'échange est asynchrone et on évaluera une campagne après coup, selon la croissance des ventes ou selon l'évolution de la réputation. Cette dernière étant alors estimée au travers de panels et d'échantillons qui servent à produire les chiffres attendus.
Les plateformes du web 2.0 ont bien compris cette logique. C'est pourquoi les plateformes sociales et plus généralement le web, promettent aux annonceurs de leur fournir une meilleure segmentation de l'audience pour une meilleure réceptivité du message. Le problème, déjà identifié par certains professionnels qui ont bien compris qu'il ne suffisait pas d'adapter leur mode de travail, réside dans le fait que l'on reprend les recettes des médias de masse pour les répliquer sur le web. Pourquoi alors parler de communautés ? Comment la marque, comment l'annonceur peut-il concrètement agir sur une communauté pour lui faire passer le message ? Comment manager une communauté, sans avoir de prises, autrement qu'en lui diffusant des messages ?
Nous avons vu comment les collectifs de la diaspora bretonne agissent dans un régime de justification en public. Mais ce régime n'apparait pas tant lors de situations conflictuelles que dans le cadre d'une activité médiatique. Ce régime d'engagement apparaît lorsque les collectifs, par l'entremise de leur porte-parole, s'adressent vers l'extérieur, avec la volonté de s'élargir, avec la volonté d'enroller de nouveaux alliés. Si les collectifs de la diaspora bretonne communiquent vers le "grand public", cela ne correspond pas à leur activité essentielle. Ils recourent à cet engagement pour convaincre, recruter ou justifier de leurs actions, vis-à-vis de ceux qui ne les connaissent pas, vis-à-vis du grand public. La valeur générale des arguments mobilisés dans ce cadre tente de réduire la distance et de créer un premier lien à l'aide de généralités. Mais cela n'est pas l'essence même du collectif. Une communauté ne se construit pas uniquement sur de grands principes, et nous dirions même qu'ils sont secondaires. L'activité essentielle d'un collectif, ce qui la fait tenir, relève des actions et des objets qui renforcent et maintiennent, concrètement, la proximité des membres. Dans le chapitre précédent, l'alignement détaille ce processus de constitution progressive d'un collectif en entrecroisant des liens multiples entre des objets de natures différentes. Pour reprendre les régimes d'engagement de Thévenot, c'est avant tout par un régime du proche, par un régime de l'action familière que ces liens solides et nombreux se construisent. Il s'agit par exemple d'activités ludiques récurrentes, d'exploration, d'une sélection d'articles de presse, etc.
Dans ce régime d'engagement, il ne faut pas évacuer les systèmes techniques, qui eux aussi peuvent-être
proches et propices à la création de liens. Les plateformes du web 2.0 offrent justement l'opportunité de sortir de la communication unidirectionnelle qui caractérisait le web 1.0, pour démultiplier les possibilités de liens. La prolifération d'outils enrichit les formes d'interaction, et l'accroissement permanent du web crée des « recoins » et des zones de moindre visibilité.
Pour un sponsor, il est nécessaire d'avoir conscience de ces multiples modes de fonctionnement pour saisir la façon adéquate de prendre part au collectif. Les régimes d'engagement permettent donc de distinguer différentes façons de faire face au monde, selon les situations particulières. Le discours du community management conserve une posture qui est celle que l'on aborde habituellement pour faire face à un public, une audience qui se caractérise par un effectif important et des liens très faibles. D'ailleurs, les critères utilisés pour définir une communauté sont bien souvent ceux utilisés pour décrire les audiences : tranche d'âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, etc.
En 2010, la nouveauté réside dans la façon dont le marketing s'approprie le community management. Car cette fonction n'est pas nouvelle, et certains blogueurs aiment à rappeler que les premiers forums web disposaient déjà de leur community manager. Une autre différence se trouve dans la professionnalisation de la fonction, qui mobilise moins d'amateurs bénévoles et plus de professionnels rémunérés. Le community management a longtemps été au coeur de politiques urbaines ou au sein de programmes éducatifs. Il s'agissait alors de densifier le capital social local, c'est-à-dire de rapprocher les habitants d'un même quartier ou d'une même ville. De nombreuses expériences de community building ont été menées pour accroître le succès des projets d'enseignement à distance. Il ressort que la création de liens, au travers d'échanges parallèles, de discussions informelles et de projets communs, diminuait sensiblement le taux d'abandon de formations à distance. Autrement dit, le simple fait de se connaître accroît la confiance réciproque et l'engagement mutuel. Dans le monde de l'entreprise, cette modalité relationnelle est utilisée dans les communautés de pratiques qui deviennent un outil de management des connaissances (Wenger et al., 2005). Là encore, c'est la proximité des membres qui leur permet de partager leurs bonnes pratiques, de les formaliser, ou encore d'explorer librement le domaine.
Enfin, les communautés peuvent être une source d'innovation pour les organisations formelles. Bien qu'elles ne se perçoivent pas ainsi, les communautés d'innovation regroupent des « utilisateurs avancés » (Von Hippel, 2005). Ces personnes, confrontées à des problèmes particuliers, mettent au point des solutions innovantes. Ces innovations peuvent être qualifiées de bricolage ou d'astuce, mais elles sont parfois reprises par les fabricants. Les cas d'utilisation imaginés par les concepteurs ne sont jamais autant hétérogènes que ce à quoi les utilisateurs sont confrontés. C'est de cette asymétrie, entre l'homogénéité recherchée par le fabricant et l'hétérogénéité rencontré par les utilisateurs, que naissent des innovations. Les fabricants et les utilisateurs avancés n'ont pas le même rapport à l'objet. Les premiers optimisent les économies d'échelles alors que les seconds customisent un objet standardisé pour le faire correspondre à leurs besoins hyperlocalisés. C'est ce point de vue différent qui explique aussi, dans certains cas, que les utilisateurs avancés révèlent gratuitement leurs innovations ou se les échangent au sein de communautés spécifiques. L'hétérogénéité est donc favorable à l'innovation, surtout lorsqu'elle consiste à associer et à combiner des éléments provenant de plusieurs mondes, c'est-à-dire de différents points de vue. Sur ce dernier point, on rejoint l'idée de participation périphérique comme source d'innovation. L'acteur engagé à la périphérie d'un collectif est aussi engagé dans d'autres collectifs et il croise ainsi des mondes hétérogènes, à la faveur d'innovations.
Depuis la communauté vers les collectifs
Dans le discours actuel sur le community management, la conception même de l'objet communauté reste plus qu'approximative. De plus, cette vision tend à exclure les non-humains, or, et c'est là un point essentiel de notre thèse, ce mélange de natures est justement ce qui en fait la richesse. C'est pour ces raisons, expliquées dans les chapitres précédents, que nous utilisons le terme collectif. Ce terme introduit de l'incertitude quant à la nature des éléments qui le composent et il introduit aussi une plus forte dynamique conforme au mouvement continu d'agrégation. Parce qu'il distingue les non-humains, le discours du community management entretient une relation surprenante avec la technique. Si les technologies construisent les communautés d'utilisateurs ou de clients, elles n'en restent pas moins de simples supports passifs de communication. Cette relation est incongrue, voire contradictoire. Au contraire la technique est bien présente dans toute forme de collectif et elle y participe dans plusieurs dimensions.
En prenant les plateformes web comme point de départ, les communautés sont positivées à outrance. Là où il y a technique, il y aurait communautés, mais celles-ci resteraient néanmoins indépendantes de la technique. Selon cette approche, toutes les communautés d'utilisateurs deviennent alors équivalentes, parce que produites et donc correspondantes à un type de plateforme. Il n'est donc plus nécessaire de caractériser ni de distinguer ces communautés par leurs usages puisque c'est l'offre qui les définit. Ce mode de réflexion pousse à agir avec de supposées communautés.
Avec le concept de format communautaire, nous nous sommes efforcé de décrire et de distinguer ces regroupements. Un même collectif peut héberger plusieurs formats communautaires. De plus, nous avons aussi montré comment ces formats restent fortement liés aux formats techniques et aux formats de connaissances. Une lecture pertinente des collectifs exige de ne laisser de côté aucun de ces trois formats. Le marketing, lorsqu'il évoque des communautés, réfléchit en terme d'audience.
La littérature académique propose généralement, pour le marketing communautaire, deux options : trouver une communauté existante ou bien en créer une. Le community building est un processus long et complexe, fait d'imbrication de liens, d'alignement, de démultiplication et d'entrecroisement d'objets hétéroclites. Les collectifs de la diaspora bretonne montrent bien comment ils sont attachés de part et d'autre à plusieurs plateformes techniques et comment ils accumulent différentes activités, différents formats d'échange. Si un collectif est naturellement asymétrique, les leaders, ou plutôt les membres du noyau dur, n'en sont pas pour autant seuls maîtres à bord, et ils doivent composer avec tous les autres éléments, humains et non-humains. Un collectif est donc une imbrication continue de liens qui se mettent en place et qui se transforment. C'est en quelque sorte le bouillonnement d'activité et la prolifération des liens qui font vivre un collectif. Avec les technologies, il devient possible de suivre et d'interpréter ces traces. Plus un collectif agrège de liens différents, de techniques hétérogènes et de formats de collaboration distincts, plus il se solidifie.
Créer une communauté ou en annexer une est donc un travail ni simple, ni rapide. Parvenir à l'orienter selon son désir relève d'un exercice encore plus ardu, car il faut jouer sur les différents formats en présence avec l'ensemble des acteurs. Une vision étriquée des collectifs mène immanquablement à des échecs, à des situations de blocages, et les exemples sont nombreux. Nous sommes, par exemple, intervenu pour le compte d'une grande entreprise dont les services de recherche et de développement ont imaginé et conçu une plateforme communautaire avec l'objectif de sensibiliser ses clients à l'économie d'énergie. C'est donc la plateforme technique qui est arrivée la première. Développée et testée en interne, elle a été optimisée pour répondre aux spécifications qui découlaient des cas d'application imaginés. Une fois la plateforme jugée conforme, elle a été mise en ligne et a fait l'objet d'une campagne de communication. C'est à ce moment que sont apparus les problèmes d'usage, car la communauté tant espérée restait concrètement absente.
On se retrouve face à un cas concret où la technique, la plateforme web, bien que « communautaire » et « sociale », ne donne pas naissance à une communauté. La démarche adoptée par cette entreprise se retrouve chez de nombreux autres acteurs, dont l'erreur est de segmenter, définir solidement et de séparer les acteurs. La première segmentation est tout simplement l'étape de conception qui est effectuée en interne, tout comme le développement et les tests. Si quelques « vrais utilisateurs » sont démarchés pour avoir un retour, la société éditrice reste maîtresse de l'ensemble, et aucune dynamique communautaire ne peut prendre forme. Une démarche intéressante, qui ne confirme en rien un meilleur succès, aurait été par exemple de se rapprocher de collectifs déjà engagés dans l'économie d'énergie et/ou dans les mondes 3D, pour les intéresser au projet. En isolant la conception de l'usage, on élimine des situations favorables à la création de liens, tant sociaux que techniques. Exploiter des technologies open source, ou opter pour un « green hosting » aurait pu être une autre façon de créer du lien.
Les collectifs de la diaspora bretonne ne sont pas exempts de ce type de cas. Lorsque l'Institut de Locarn lance sa plateforme de veille économique, le modèle d'activité est déjà conçu et matérialisé au coeur de la plateforme, avec des processus inscrits dans le code. C'est une fois la plateforme collaborative testée et validée par les concepteurs que la question des contributeurs est posée. Tout le recrutement qui suit, consiste alors à formater des personnes pour les faire entrer dans le moule du contributeur. Le résultat est un nombre important de rejets et un intérêt soutenu de la part d'autres personnes que celles initialement ciblées. À la différence d'une organisation formelle, où les conventions, les contrats ou la législation, sont des moyens d'asseoir une autorité, les collectifs web ne sont régis que par des accords locaux.
Passés la discussion, la négociation ou le compromis, il ne reste bien souvent que la défection (Hirschman, 1970), surtout lorsqu'il y a peu de liens en place pour venir consolider la relation. Ces remarques sur la place de la technique dans les dimensions relationnelles permettent de revenir sur un des aspects du « community management version 2010 ». Ce rôle est parfois présenté comme celui qui humanise la relation supportée par les outils. Le community manager doit alors maîtriser les plateformes web 2.0, mais sans compétences informatiques. Il doit être un communicant, diplômé d'une école de commerce si possible, mais il ne doit surtout pas être un développeur, juste un utilisateur avancé. Cette distinction des rôles et des compétences revient à mettre la technique à l'arrière-plan. C'est pourquoi nous proposons d'utiliser, au lieu de community manager, la dénomination d'ingénieur socio-technique, c'est-à-dire celui qui compose le collectif. L'ingénieur socio-technique aborde, sur la même ligne, humains et non-humains, social et technique, notamment afin d'optimiser les couplages entre les éléments. Compte tenu de la place particulière des technologies dans les collectifs web, la compréhension fine des processus techniques est un atout. L'ingénieur socio-technique doit être capable de « lire » les formats techniques, de comprendre les paradigmes propres au code des plateformes pour effectuer les ajustements et aligner les différents formats. S'il est demandé au community management de recruter et de fédérer un noyau dur pour la communauté, il doit aussi sélectionner et composer les socles techniques. Ces deux actions doivent s'effectuer en même temps, au risque d'un mauvais alignement. Et, tout comme il est possible de mettre en place des codes de conduites, des chartes ou des bonnes pratiques, la relation aux objets techniques doit pouvoir se faire de même. Les choix doivent être réalisés en commun et pouvoir être remis en cause. Rappelons que le principe d'un collectif est de ne pas préjuger, ni de la nature, ni de la compétence.
Les choix et les décisions quant aux outils de communication restent une opportunité pour solidifier le collectif, qui est finalement le seul à même d'évaluer la pertinence d'une offre technique, surtout dans l'abondance d'offres. Si les blogueurs décrivent un community builder qui lance des communautés, ces dernières semblent par la suite vivre d'elles-mêmes, en exploitant l'inertie du lancement, tout en conservant leur forme et leur dynamique. Or, et c'est bien ce que nous avons démontré, une communauté, comme tout collectif, demande un entretien et une attention permanente toute particulière, sans quoi elle risque de se désagréger.
Elle a par exemple besoin d'objets intermédiaires (Vinck) qui matérialisent les échanges. La circulation et le renouvellement des membres au sein d'une communauté sont généralement un signe de dynamisme, et cela s'applique tout autant aux technologies. Le community manager devient alors un ingénieur socio-technique, un composeur de collectifs. Ce dernier n'a pas pour mission de devenir leader, ni de piloter le collectif, mais bien de participer directement aux activités en veillant à introduire toujours plus de nouveauté. Ces nouveautés ne sont pas introduites en vue d'un objectif déterminé mais simplement pour susciter des réactions, sans présupposer de la direction que cela pourrait prendre.
Quelle stratégie d'animation ?
Le community management, tel qu'il est traité dans la blogosphère, est abordé avec une vision réduite qui met de côté certaines propriétés essentielles de l'objet. Le propos n'est cependant pas de soutenir l'idée selon laquelle les collectifs web n'auraient rien à apporter au marketing.
L'argument réside dans le fait qu'il faut prendre davantage de distance et qu'il faut accepter la non-maîtrise. Autrement dit, un sponsor qui recherche une communauté pour accroître sa réputation a beaucoup de risques d'obtenir l'effet inverse.
L'idée que nous souhaitons mettre en avant est que toute action productive réalisée avec un collectif nécessite l'autonomie de ce dernier. Un collectif ne vit pas en captivité. Dans cette situation d'incertitude, il reste au sponsor à concevoir une méta-stratégie qui garantit la perte de contrôle. Nous parlons ici de méta-stratégie car il n'existe pas de recette pour atteindre un objectif. L'erreur courante est de vouloir manager un collectif pour l'emmener vers un but précis. Or cette démarche nécessite la mise en place de moyens de contrôle, d'outil d'évaluation, qui viennent à l'encontre du principe d'autonomie. Les sponsors, et plus particulièrement les entreprises, imaginent, à tort, que les collectifs web fonctionnent avec des schèmes identiques aux leurs. Les régimes d'engagement peuvent là encore aider à approfondir la distinction. Si l'activité marketing tend davantage vers un régime d'engagement en justification, alors la stratégie tend vers un régime de l'action en plan, de l'acteur dans toute sa rationalité. La stratégie relève d'un plan construit pour atteindre un objectif, à l'aide des ressources disponibles. Le régime d'action en plan est celui de l'être calculateur et rationnel, dont la problématique essentielle est la coordination optimale des ressources. Parfois, un collectif peut adopter ce régime d'engagement. C'est le cas, par exemple, lorsque les Bretons de New York organisent une série de concerts et d'événements. Mais cette phase n'est pas la caractéristique essentielle du collectif, ni sa raison d'être. Le collectif vit localement, de rencontres physiques régulières, et ses activités en ligne ou dans la presse sont réduites. Cette façon de se fréquenter, d'interagir, la situe dans un régime d'engagement en proche, où la proximité, de quelque nature qu'elle soit, construit et consolide les relations.
Adopter une méta-stratégie
Le ressort essentiel des collectifs relève donc d'un régime du proche, d'une forme de familiarité où les routines et les habitudes gouvernent. Les collectifs se distinguent par un contact local, un couplage particulier qui est adapté à la situation et que l'on ne peut donc que difficilement reproduire ailleurs. Ce régime du proche permet de renforcer les liens, de les étendre au voisinage sans la nécessité de recourir en permanence à des montées en généralité.
Pour un sponsor, l'approche stratégique est risquée, et il doit donc privilégier un répertoire de postures, sans refermer sur quelques critères les conditions de collaboration. En réduisant l'apport d'un collectif à la vente d'un produit ou à la réputation d'une marque, le risque de déception est élevé, car il reste excessivement délicat d'emmener un collectif sur une voie précise. Aussi, il est préférable pour un sponsor d'arriver avec des idées souples et agiles, qui ne soient pas trop préconçues. Les collectifs, et leur régime du proche, sont davantage alertes dans l'exploration que dans la réalisation de projets. Un sponsor, prenons le cas d'une entreprise qui s'intéresse aux innovations développées par un collectif (Von Hippel), va naturellement tenter d'optimiser le processus en stabilisant et en alignant fortement les médiateurs. En faisant cela, le sponsor reproduit ses propres schèmes de pensée et appauvrit immanquablement la capacité exploratoire du collectif. Les communautés de pratique en entreprise démontrent leur capacité à explorer le domaine de connaissances, et le community coordinator veille à protéger sa communauté des schèmes de l'entreprise. Dans le cas du marketing, la stratégie fonctionne tant qu'il s'agit de gérer le site web de la compagnie, ou d'organiser des jeux concours au travers de sites promotionnels. Avec le web 2.0, il s'agit d'accepter de perdre le contrôle et d'avancer dans un environnement incertain. Alimenter une page profil sur Facebook ne relève pas des mêmes exigences de contrôle qu'un site web développé par un prestataire sous contrat. Dans la présentation du community management faite au début de ce chapitre, le community manager est en bas de l'échelle hiérarchique et il est chargé de mettre en application la stratégie pensée dans les sphères supérieures. Mais
comment appliquer une stratégie à un monde dont on ne maitrise aucun élément ? Le modèle stratégique est linéaire, c'est-à-dire qu'il définit une façon d'atteindre un objectif et de produire les effets escomptés. Comment tenir une trajectoire dans un milieu aussi dynamique et incertain que celui du web 2.0 ? S'il n'y a pas d'adaptation permanente aux circonvolutions mouvantes du terrain, la démarche est vouée à l'échec. Agir avec fermeté, suivre son plan et l'appliquer aux autres, est au mieux un risque de se faire rejeter du collectif, et au pire, un risque de détruire la dynamique du collectif. Aborder un collectif pour le manipuler, c'est oublier qu'il s'agit d'un organisme autonome particulièrement réticent aux ordres, surtout lorsqu'ils viennent de l'extérieur. Sur certains forums par exemple, on identifie des moyens de protection mis en place par les collectifs. Ainsi, les messages promotionnels ne sont autorisés que pour des membres ayant un investissement avéré. Si un membre périphérique, voire externe au collectif intervient en décalage et de façon trop insistante, il se fait bannir. L'effet produit est alors inverse à celui recherché par un sponsor. Si un collectif est ouvert et dynamique, il est néanmoins capable d'identifier des agressions et de réagir pour se préserver. Certains Diaspora Knowledge Networks offrent une illustration de l'échec de ces stratégies. Tout au long des années 1990, des administrations nationales ont investi dans du matériel et des ressources humaines pour mobiliser leur diaspora scientifique dans le développement local. J-B Meyer détaille les faiblesses et les limites qui ont amené ces organisations à abandonner leur projet. Il préconise pour ces initiatives une forme de co-développement dans laquelle le sponsor, qui fournit les ressources, n'est pas celui qui les sélectionnent ni qui les met en oeuvre. Ce type de coopération exige un haut niveau de confiance mutuelle. Lorsque Meyer invite, pour dépasser les limites inhérentes aux DKN, à multiplier les médiations, c'est une façon de mettre en évidence la multitude d'hypothèses de départ qui doivent coexister. Cette méthode pragmatique est une façon d'accepter l'incertitude, d'expérimenter en parallèle, tout en créant du lien local. Plus que de concevoir de bout en bout, il s'agit d'explorer et de consolider rapidement pour avancer pas à pas. La démarche est donc résolument non moderne, incertaine et non maîtrisée.
La dynamique open source peut servir d'inspiration pour concevoir cette méta-stratégie. Les logiciels libres prolifèrent, donnent naissance à des branches, à des versions alternatives. Certains projets s'arrêtent et d'autres continuent à mesure qu'il participent au bien commun. D'une multitude de projets naissants, quelques-uns seulement sortent du lot, avec leur part de fonctions innovantes. C'est pourquoi, à la métaphore balistique, nous préférons celle de l'écologue qui est en permanence confronté à une multitude de choix et d'orientations possibles, sans qu'aucune ne soit naturellement supérieure aux autres. L'écologue veille à maintenir une certaine diversité et privilégie les relations qui se développent entre les différents éléments en place. Il accompagne plus qu'il ne dirige, il fait preuve d'une capacité d'écoute. Il peut choisir de protéger son milieu et de le maintenir tel quel, de le conserver ou d'intervenir plus directement. Il peut alors introduire de nouveaux composants ou réaliser des hybridations. L'écologue base sa démarche sur l'analyse et l'observation, aussi il a une très bonne connaissance du terrain, des propriétés et des actions de chaque composant.
Cette posture permet d'appréhender les collectifs et les relations sponsors-communautés-connaissances-
technologies comme un milieu vivant, où les éléments se nourrissent les uns des autres. L'écologue, sauf peut-être cas exceptionnel, n'est pas dans une politique de la « table rase », il réfléchit en terme de colonisation et anticipe sur la croissance de chaque élément de base. Les transformations sont progressives et des ajustements se réalisent pas à pas, en accord avec le milieu qu'il s'agit de conserver. Tel le naturaliste, le composeur de collectif observe, empiriquement, les conditions et les voisinages les plus propices à l'hybridation, à la fertilisation croisée. Les formats techniques, communautaires et de connaissances constituent des outils d'observation et des leviers sur lesquels il reste possible d'intervenir. Le travail de l'écologue est de favoriser les croisements et la vivacité du milieu, maintenir l'habitat sans capturer le collectif.
Cette posture de l'écologue n'est pas incompatible avec l'action de monitoring affectée au community management. Au contraire, pour s'assurer d'une bonne compréhension l'ingénieur socio-technique met en place des dispositifs de suivi qui produisent des flux d'information pour surveiller en temps réel. Mais, abordée comme une activité de veille, elle ne permet que de gérer la crise après coup, et non de l'anticiper. Mais les flux continus d'information peuvent néanmoins être stockés puis analysés, pour alimenter une réflexion plus longue. Si la veille appelle à observer et réagir rapidement, l'observation au long cours permet d'identifier certaines régularités et de saisir les propriétés essentielles du collectif. Ces données ainsi consolidées apportent aussi au collectif des outils réflexifs qui le confortent dans son autonomie. S'il ne doit pas imposer sa vision, le composeur de collectif doit cependant accepter le fait qu'il est un médiateur à part entière, avec une place au sein du collectif. Mais au lieu d'orienter le collectif vers une finalité, il doit surtout agir pour en accroître l'espérance de vie.
Figure 1 : Stratège vs Écologue.
Équiper la pluralité et l'incertitude
L'ingénieur socio-technique, le composeur de collectif, n'est donc pas là pour appliquer ni mettre en oeuvre une stratégie qui aurait des effets sur le collectif au bénéfice d'un tiers. Tel que nous l'imaginons, le composeur de collectif est rémunéré par un sponsor. Nous prendronscomme exemple de sponsor une entreprise, mais d'autres types de sponsors peuvent exister. Selon les « méta-objectifs » du sponsor, l'ingénieur socio-technique va être amené à adopter plusieurs postures. Bien que rémunéré par le sponsor, l'ingénieur socio-technique fait partie du collectif et il peut donc proposer et imaginer des stratégies internes en tant que membre. Le collectif peut être vu comme un milieu d'expérimentation qui fonctionne par une succession d'essais-erreurs. À la suite de ces expériences, le collectif intègre certaines innovations et abandonne certaines pratiques. S'il peut éventuellement avoir une vision de lui-même à long terme, le collectif avance à petits pas. C'est donc toute la mission de l'ingénieur sociotechnique que de préparer son terrain, et pour cela il peut recourir au monitoring du collectif et à une observation au travers des formats. Car si l'ingénieur socio-technique n'est pas en capacité de dérouler une stratégie, il peut cependant intervenir sur le collectif, au même titre que les autres médiateurs. S'il ne peut diriger le collectif, il peut cependant proposer des orientations, ouvrir des pistes, le tout en collaboration avec le sponsor. Le composeur de collectif adopte une multiplicité de postures pour faire face à un pluralisme de raisons. Le collectif ne relevant pas d'une convention, aucune raison n'est supérieure aux autres. Ces postures définissent différentes façons d'agir et les modalités relationnelles selon Descola (Descola, 2005) sont particulièrement intéressantes sur cet aspect. Les quatre ontologies (Animisme, Totémisme, Naturalisme, Analogisme) sont articulées selon un principe de différence ou de ressemblance des intériorités et des physicalités des êtres. Ces quatre ontologies, dans lesquelles il est possible de répartir toute civilisation, se combinent avec six formes d'attachement (échange, prédation, don ; production, protection, transmission).
Dans ce modèle, ceux que nous appelons les modernes (à la base des concepts de nature et de culture) sont caractérisés par l'ontologie naturaliste. Les modernes distinguent les êtres par leur intériorité, selon qu'ils possèdent ou non, une âme. Dans cette ontologie, le rapport de production est très présent. Les êtres humains transforment la matière première pour produire des choses et alimenter la croissance. Dans cette même posture les technologies produisent des communautés et l'offre produit un usage. La production intègre une dissemblance des êtres producteurs de ceux qui sont produits. Ils sont détachés l'un de l'autre. Dans le cas des communautés de pratique décrites par Wenger, le collectif produit des experts, qui travaillent pour le sponsor. Mais la description du community coordinator (Wenger et al., 2005) peut être vue selon une posture protectrice. Le coordinateur veille à maintenir l'ambiance particulière, il protège sa communauté des schèmes de l'entreprise sponsor. Dans cette relation, la protection peut suggérer une forme de faiblesse, mais
Restons dans le monde de l'entreprise pour illustrer la relation de prédation, une troisième forme d'attachement entre des objets semblables. Il y a quelques années, l'industrie pharmaceutique française n'était pas autant concentrée et la concurrence était encore une valeur associée au capitalisme. Certaines grandes entreprises soutenaient ainsi officiellement un réseau d'entreprises locales plus petites, et plus ou moins concurrentes. Mais ces grandes entreprises se gardaient le droit de prendre à tout moment un élément intéressant (idée, entreprise, personne, brevet, etc). C'est de cette posture de prédation que sont soupçonnés les grands groupes industriels en panne d'innovation, lorsqu'ils rejoignent les pôles de compétitivité régionaux.
Des six modes d'attachements proposés par Descola, la protection semble la plus adéquate pour qualifier la relation avec les collectifs. Le protecteur est aussi celui qui porte son attention au collectif, et c'est justement ce qu'identifient Cardon et Levrel à partir de leur observation de Wikipédia. On qualifie habituellement Wikipédia de communauté épistémique, c'est-à-dire un collectif engagé dans la production de connaissances. Celles-ci résultent généralement des échanges entre les experts et les novices. Les traces produites au cours des résolutions de problèmes peuvent être consolidées et suivies de façon asynchrone et distante. À partir de la méthode Jacotot, les auteurs proposent une approche toute différente. Ils démontrent que les pages de Wikipédia ne sont pas rédigées par des experts, mais principalement par des novices et des amateurs qui produisent un grand nombre d'articles de qualité, même sur des sujets qu'ils ne maîtrisent pas. Les discussions qui se déroulent autour des pages ne visent donc pas tant à certifier la qualité et la précision du contenu, qu'à vérifier que chaque argument respecte les consignes. Wikipédia a mis en place des procédures de gestion des conflits et des règles, autrement dit des conventions, quant à la rédaction des articles.
Composer des mondes communs revient à jouer avec la diversité des collectifs et donc à la maintenir. Cette diversité est l'un des principes essentiels de tout collectif. L'économie de marché et la libéralisation ont tendance à favoriser la concentration, aussi, l'ingénieur sociotechnique intervient pour que le collectif légifère en faveur d'un principe de multiplicité. Composer un collectif relève donc d'un travail d'équilibre. Si l'alignement est un moyen de solidifier le collectif, poussé à l'extrême il risque de l'appauvrir. Il n'y a donc pas de recette, car aucune situation n'est jamais similaire. Néanmoins, les formes d'attachement de Descola pourraient peut-être constituer une première liste des ingrédients de base. Le programme proposé par Descola se révèle très stimulant pour aborder cette notion de collectif et de composition de mondes communs. Nous l'avons hélas découvert trop tardivement pour l'exploiter d'avantage.
Pour résumer, la choix fondamental est à réaliser entre renforcer l'alignement et solidifier le collectif en gardant le même cap, ou introduire de la diversité pour proliférer et s'étendre. Parce qu'il équilibre ces deux questions et qu'il connait les attentes du sponsor, l'ingénieur socio-technique est l'accoucheur qui fait émerger un accord. Aligner un collectif le durcit, le rend plus fort mais aussi le spécialise. Plus il est défini, plus le collectif devient efficace, il produit des choses, mais dans un monde incertain, il devient aussi plus faible. En faisant le choix de l'hétérogénéité, le collectif s'élargit, il prolifère, avec le risque que certaines initiatives ne durent pas, soient rejetées. Faut-il préciser le style et creuser dans la même direction au risque qu'une seule dimension devienne supérieure et agrège les autres ?
L'ingénieur socio-technique est celui qui va pouvoir aligner suffisamment tout en agglomérant et en optimisant les couplages. En tant que gardien de la diversité, il accepte une pluralité de posture et fait son possible pour les maintenir, il n'est pas là pour émettre un jugement mais pour servir d'interface entre des postures, parfois concurrentes mais complémentaires.
Répertoire d'actions du composeur de collectifs
• susciter des opportunités de création de lien
• entretenir et consolider les liens à l'aide d'objets intermédiaires
• introduire de nouveaux outils et de nouvelles technologies
• recruter des membres, favoriser l'intégration au sein du collectif
• introduire de nouvelles façons de faire
• explorer, tester
• sélectionner dans l'existant
• identifier les formats
• monitorer le collectif
• offrir des outils de réflexivité
• rendre visibles les propriétés de la communauté : dynamisme, asymétrie,
hétérogénéité
• composer un environnement socio-technique fertile
• intégrer les nouveaux acteurs, créer du lien, (bounding)
• maintenir l'hétérogénéité
• informer le sponsor
• proposer des postures et des orientations possibles au collectif
Figure 2 : Les actions du composeur de collectif.
Conclusion
L'activité que nous avons menée entre mars 2006 et décembre 2009 ne relève pas de la vente, ni de la gestion de marque, cependant elle a permis de construire une approche originale de la composition des collectifs, qui rompt nettement avec la vision du community management. La richesse des terrains, ajoutée à la réflexion théorique offre d'élargir les prérogatives et la conception récente du community management. L'ingénieur socio-technique, qui prend la place du community manager, est équipé pour l'incertitude. Chacune de ses décisions fait face à une pluralité de choix. Ses compétences techniques lui permettent d'aborder sur un même plan les relations sociales et techniques, pour qu'elles s'auto-alimentent et se renforcent mutuellement. Les collectifs se caractérisent par leur hétérogénéité, c'est-à-dire la capacité à faire coexister plusieurs mondes, et par une certaine plasticité, qui est la capacité à se transformer, à se remettre en cause.
La particularité, et donc la richesse, d'une thèse CIFRE est d'associer une activité de recherche et une pratique professionnelle. Dans mon cas, cette expérience fut particulièrement riche car l'activité professionnelle a facilité l'accès au matériau d'analyse et a ainsi alimenté la réflexion. Si la discussion théorique n'a pas été négligée, une thèse CIFRE reste fortement marquée par l'application opérationnelle pour le monde de l'entreprise. Le poste d'animateur de Diaspora Économique Bretonne, couplé avec la proximité des terrains de la diaspora bretone, nous permet aujourd'hui de proposer une réflexion sur la gestion des collectifs web. Pour une entreprise ou une autre organisation formelle, qui se poserait en sponsor, la question du management des collectifs web reste encore trop approximative. Si l'exercice d'auto-analyse est toujours délicat, il est ici l'occasion de formaliser quelque peu cette expérience pratique et d'en tirer des enseignements. Pour mettre en évidence notre approche, nous la comparerons à une définition usuelle et courante du community management.
Le community management en 2010, une approche marketing
Depuis la fin 2009, dans le milieu assez restreint du « social media », le management de communauté fait l'objet d'un important bruit. Assez peu développé dans la presse grand public, le sujet est plébiscité par les consultants indépendants et les entreprises qui, au travers d'annonces recrutent, généralement en stage, des « community managers ». Le sujet se voit largement traité sur les blogs et les sites spécialisés, où chaque « expert » propose sa propre définition. Malgré cette apparente richesse, la veille que nous avons consacrée au sujet montre une certaine pauvreté du discours et une répétition inlassable des mêmes images, déconnectées de toutes observations ou résultats chiffrés. La mission du community manager s'en trouve réduite à quelques tâches qui appauvrissent d'autant l'intérêt que peuvent représenter les communautés pour une organisation. En forçant le trait, et pour le dire très simplement, le community manager 2010 est un chargé de communication dont la particularité est d'intervenir exlusivement sur les plateformes du web 2.0.
La définition proposée par Frédéric Cavazza constitue un assez bon point de départ, car elle est précise et elle synthétise plusieurs éléments repris dans la blogosphère. Pour Cavazza, le community management est une fonction dont les missions se répartissent au sein de plusieurs rôles. Cavazza met ainsi en évidence les différents savoir-faire mobilisés et les nombreuses tâches qui incombent généralement au community manager. Aussi, il ressort que cette mission ne relève pas d'une personne mais plus d'un groupe, dont la problématique commune est d'assurer et de veiller sur « la présence d'une marque au sein des médias sociaux ».
- Le community manager se retrouve donc en contact privilégié avec la communauté de clients, avérés ou en devenir. Il est le dernier maillon d'une chaîne qui relie les responsables d'une marque à sa clientèle présente sur les médias sociaux. Pour Cavazza, le community manager a pour mission principale de monitorer et d'optimiser la relation qui unit un produit, une marque, à sa communauté de clients ou d'utilisateurs. Il est un acteur opérationnel, qui, en plus de rendre des comptes à propos de ses actions, est chargé de mettre en application la charte de communication et les processus définis en amont par ses supérieurs hiérarchiques. S'il évalue la réputation de la marque (selon quelle méthode ?), on lui demande aussi d'être force de proposition pour mener des actions correctives, par exemple sous la forme de jeux concours.
Les autres rôles de la fonction community management sont hiérarchiquement supérieurs. Ils interviennent à un niveau "stratégique pour concevoir la communauté" et les infrastructures techniques qui vont venir la supporter. - Le « community builder », intervient pour lancer la communauté, c'est-à-dire pour « fédérer et enrôler ses membres clés ».
- Ensuite, le « social media planner » adapte la stratégie marketing de l'organisation et décline la campagne de communication pour les supports particuliers des médias sociaux.
- Enfin, le «social media analytics » est, quant à lui, un expert dont les missions sont de définir et de recueillir les indicateurs clés utilisés pour le pilotage de la communauté.
On voit donc comment les différents rôles présentés par Cavazza se réfèrent à des postes et à un vocabulaire déjà bien présent dans le monde de l'entreprise. La chaîne qui est présentée démarre au bureau d'étude pour aller jusqu'à la production en passant par la qualité. Néanmoins, c'est le marketing et la communication qui, dans cette présentation, imposent leur organisation. Le web 2.0 est alors perçu comme un nouveau canal de communication auquel il faut adapter des objets existants. Mais les métaphores utilisées ne se contentent pas d'illustrer ce nouveau métier. Elles trahissent une conception unidirectionnelle, voire diffusionniste, de la communication. Cela n'est pas étranger à quelques supports matériels abondamment utilisés (édition, télévision, radio, mailing, etc.), mais auxquels nous ne réduisons pas la richesse du marketing. De ce point de vue, le potentiel des technologies de l'information, et plus particulièrement des plateformes du web 2.0, est sous-exploité. Tel que les choses sont présentées, la technique, entendons les plateformes du web 2.0, est pliée et n'offre aucune résistance pour s'adapter aux façons de faire du marketing, qui vise par ce biais à aller à la rencontre des communautés de clients. Nous pourrions presque y déceler une forme de mépris dans la façon dont sont abordées des technologies qui, pour rien au monde, ne remettraient en question des certitudes. Nous évoquons ce point car les postes présentés par Cavazza se contentent de décalquer, sans adaptation ni remise en question, des tâches déjà bien établies dans les services spécialisés. Les plateformes du web 2.0 sont alors perçues comme de simples supports de communication, avec toute la dimension passive que cela comporte.
À côté de cette approche professionnelle du community management, on trouve un discours un peu différent, une sorte de variante plus inspirée. Cette seconde approche présente le community manager comme un leader qui construit naturellement autour de lui une communauté. Dans cette acception, le community manager est un créatif charismatique qui, au travers de ses actions sur le web, draine déjà des admirateurs. Il devient alors un ambassadeur qui associe son nom à une marque et lui apporte un certain crédit. Cette approche s'inspire plus directement du sponsoring où les marques s'associent à des personnalités publiques, des sportifs ou des acteurs. Dans ce cas, la prise de risque est élevée, et le retour sur investissement incertain. (Pour un exemple récent, on peut citer les sponsors de l'équipe de France de football pendant la coupe du monde 2010).
Ces deux approches du community management, laissent donc voir une forme de résistance au changement. Les traditions, déjà bien établies, des professions du marketing, sont seulement adaptées à la marge pour investir le web 2.0. Le risque, en tenant ce type de position fermée sans reconsidérer son mode de travail, est de passer à côté de l'intérêt des collectifs web et d'engager des investissements en pure perte. En considérant le web 2.0 comme un support, le marketing reprend l'idéologie des leaders d'opinion qui diffusent et apportent leur crédit au message, à la marque. Dans le cas des plateformes du web 2.0, les choses sont un plus complexes, car ce qui peut-être perçu comme un espace d'affichage individualisé pour l'annonceur est aussi un espace d'interaction, un cadre d'usages personalisés.
Dans les deux cas, il ressort que la question des moyens et des leviers de pilotage d'une communauté reste entière. L'action du community manager n'est que sommairement décrite et elle se résume à observer-surveiller et à diffuser le message sur les plateformes du web 2.0. Rédiger des pages profils, accumuler des fans, être lu, sont-ce des élément suffisants pour obtenir une quelconque légitimité au sein d'un collectif et auprès des supposés leaders d'opinion ? De quelles prises le community management dispose-t-il en agissant ainsi, en s'adressant à une communauté comme on le fait à un fichier clients ? Face à ces "potions magiques du 2.0", rappelons que l'histoire d'Internet relève plus d'accidents de parcours que d'une stratégie bien huilée.
L'élément essentiel à retenir est que l'on ne maîtrise jamais totalement les réations de la rencontre des techniques et des humains. Le résultat est même bien souvent déroutant tant pour les concepteurs que pour les usagers. Aussi, le web 2.0, qui regroupe une multiplicité d'éléments distincts et très dynamiques, doit être abordé avec beaucoup de circonspection.
Caractériser les collectifs
L'intérêt des marques pour les communautés est un sujet abondamment traité. Ainsi, le marketing tribal (Cova), consiste à diversifier la nature des liens entre un client et une marque. Le lien n'est donc plus tant la consommation du produit ou du service que le mode de vie et les relations sociales qui vont avec. Ce mode de vie et ces relations sociales, sont elles aussi appuyées par d'autres artefacts (jargon, style vestimentaire, accessoires, etc.) sur lesquels l'annonceur n'a pas de prise directe. Avec la multiplicité des acteurs, l'attachement devient socio-technique, favorisant ainsi la solidification des liens et donc, la fidélité à la marque. À la suite de cela, quitter une marque ou un produit revient alors aussi à quitter des amis, des proches, des habitudes. Le point essentiel à retenir de ce type de marketing est l'exigence de la perte de contrôle. Si la marque tente de prendre le leadership, elle court le risque de détruire la dynamique tribale. Dans le community management actuel, c'est le discours inverse qui est tenu, avec un community manager qui est appelé à contrôler sa communauté, à la marquer de sa patte.
Les régimes d'engagement (Thévenot, 2006) offrent une grille de lecture intéressante pour saisir une propriété essentielle des fonctions marketing et communication de l'entreprise, et pour tenter de l'articuler avec notre approche des collectifs web. Ces deux fonctions de l'entreprise relèvent principalement d'un mode de justification en public. Les actions de communication prennent appuis sur des principes supérieurs et des valeurs générales. Cette montée en généralité permet d'agréger un nombre important de personnes, d'avis ou de sympathisants. Ces mêmes valeurs sont déclinées dans l'identité visuelle, le slogan, les spots publicitaires et par les personnalités choisies pour représenter la marque. Ce type de justification en public est là encore étayée par des outils technologiques de médias de masse. La télévision, la radio ou l'imprimé permettent d'adresser un même message à une forte audience. Aussi ce message doit être simple et explicite, compréhensible par le plus grand nombre. Dans ce mode de communication, l'échange est asynchrone et on évaluera une campagne après coup, selon la croissance des ventes ou selon l'évolution de la réputation. Cette dernière étant alors estimée au travers de panels et d'échantillons qui servent à produire les chiffres attendus.
Les plateformes du web 2.0 ont bien compris cette logique. C'est pourquoi les plateformes sociales et plus généralement le web, promettent aux annonceurs de leur fournir une meilleure segmentation de l'audience pour une meilleure réceptivité du message. Le problème, déjà identifié par certains professionnels qui ont bien compris qu'il ne suffisait pas d'adapter leur mode de travail, réside dans le fait que l'on reprend les recettes des médias de masse pour les répliquer sur le web. Pourquoi alors parler de communautés ? Comment la marque, comment l'annonceur peut-il concrètement agir sur une communauté pour lui faire passer le message ? Comment manager une communauté, sans avoir de prises, autrement qu'en lui diffusant des messages ?
Nous avons vu comment les collectifs de la diaspora bretonne agissent dans un régime de justification en public. Mais ce régime n'apparait pas tant lors de situations conflictuelles que dans le cadre d'une activité médiatique. Ce régime d'engagement apparaît lorsque les collectifs, par l'entremise de leur porte-parole, s'adressent vers l'extérieur, avec la volonté de s'élargir, avec la volonté d'enroller de nouveaux alliés. Si les collectifs de la diaspora bretonne communiquent vers le "grand public", cela ne correspond pas à leur activité essentielle. Ils recourent à cet engagement pour convaincre, recruter ou justifier de leurs actions, vis-à-vis de ceux qui ne les connaissent pas, vis-à-vis du grand public. La valeur générale des arguments mobilisés dans ce cadre tente de réduire la distance et de créer un premier lien à l'aide de généralités. Mais cela n'est pas l'essence même du collectif. Une communauté ne se construit pas uniquement sur de grands principes, et nous dirions même qu'ils sont secondaires. L'activité essentielle d'un collectif, ce qui la fait tenir, relève des actions et des objets qui renforcent et maintiennent, concrètement, la proximité des membres. Dans le chapitre précédent, l'alignement détaille ce processus de constitution progressive d'un collectif en entrecroisant des liens multiples entre des objets de natures différentes. Pour reprendre les régimes d'engagement de Thévenot, c'est avant tout par un régime du proche, par un régime de l'action familière que ces liens solides et nombreux se construisent. Il s'agit par exemple d'activités ludiques récurrentes, d'exploration, d'une sélection d'articles de presse, etc.
Dans ce régime d'engagement, il ne faut pas évacuer les systèmes techniques, qui eux aussi peuvent-être
proches et propices à la création de liens. Les plateformes du web 2.0 offrent justement l'opportunité de sortir de la communication unidirectionnelle qui caractérisait le web 1.0, pour démultiplier les possibilités de liens. La prolifération d'outils enrichit les formes d'interaction, et l'accroissement permanent du web crée des « recoins » et des zones de moindre visibilité.
Pour un sponsor, il est nécessaire d'avoir conscience de ces multiples modes de fonctionnement pour saisir la façon adéquate de prendre part au collectif. Les régimes d'engagement permettent donc de distinguer différentes façons de faire face au monde, selon les situations particulières. Le discours du community management conserve une posture qui est celle que l'on aborde habituellement pour faire face à un public, une audience qui se caractérise par un effectif important et des liens très faibles. D'ailleurs, les critères utilisés pour définir une communauté sont bien souvent ceux utilisés pour décrire les audiences : tranche d'âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, etc.
En 2010, la nouveauté réside dans la façon dont le marketing s'approprie le community management. Car cette fonction n'est pas nouvelle, et certains blogueurs aiment à rappeler que les premiers forums web disposaient déjà de leur community manager. Une autre différence se trouve dans la professionnalisation de la fonction, qui mobilise moins d'amateurs bénévoles et plus de professionnels rémunérés. Le community management a longtemps été au coeur de politiques urbaines ou au sein de programmes éducatifs. Il s'agissait alors de densifier le capital social local, c'est-à-dire de rapprocher les habitants d'un même quartier ou d'une même ville. De nombreuses expériences de community building ont été menées pour accroître le succès des projets d'enseignement à distance. Il ressort que la création de liens, au travers d'échanges parallèles, de discussions informelles et de projets communs, diminuait sensiblement le taux d'abandon de formations à distance. Autrement dit, le simple fait de se connaître accroît la confiance réciproque et l'engagement mutuel. Dans le monde de l'entreprise, cette modalité relationnelle est utilisée dans les communautés de pratiques qui deviennent un outil de management des connaissances (Wenger et al., 2005). Là encore, c'est la proximité des membres qui leur permet de partager leurs bonnes pratiques, de les formaliser, ou encore d'explorer librement le domaine.
Enfin, les communautés peuvent être une source d'innovation pour les organisations formelles. Bien qu'elles ne se perçoivent pas ainsi, les communautés d'innovation regroupent des « utilisateurs avancés » (Von Hippel, 2005). Ces personnes, confrontées à des problèmes particuliers, mettent au point des solutions innovantes. Ces innovations peuvent être qualifiées de bricolage ou d'astuce, mais elles sont parfois reprises par les fabricants. Les cas d'utilisation imaginés par les concepteurs ne sont jamais autant hétérogènes que ce à quoi les utilisateurs sont confrontés. C'est de cette asymétrie, entre l'homogénéité recherchée par le fabricant et l'hétérogénéité rencontré par les utilisateurs, que naissent des innovations. Les fabricants et les utilisateurs avancés n'ont pas le même rapport à l'objet. Les premiers optimisent les économies d'échelles alors que les seconds customisent un objet standardisé pour le faire correspondre à leurs besoins hyperlocalisés. C'est ce point de vue différent qui explique aussi, dans certains cas, que les utilisateurs avancés révèlent gratuitement leurs innovations ou se les échangent au sein de communautés spécifiques. L'hétérogénéité est donc favorable à l'innovation, surtout lorsqu'elle consiste à associer et à combiner des éléments provenant de plusieurs mondes, c'est-à-dire de différents points de vue. Sur ce dernier point, on rejoint l'idée de participation périphérique comme source d'innovation. L'acteur engagé à la périphérie d'un collectif est aussi engagé dans d'autres collectifs et il croise ainsi des mondes hétérogènes, à la faveur d'innovations.
« In other words, user innovation does tend to be widely distributed in a worldL'élément essentiel de ces quelques exemples est que le concept même de communauté repose sur une sociabilité, un sentiment d'appartenance et peut être aussi une forme d'identité collective, qui reposent aussi sur des activités localisées. Sans des échanges et une proximité suffisante, alors il n'y a pas de communauté. Bien qu'elle soit généralement ouverte, une communauté est autonome et donc très peu sensible aux messages qui lui parviennent de l'extérieur. Aussi, pour tenter d'intervenir dans une communauté, pour donner du poids à sa position, il faut une légitimité qui ne s'acquiert que par la participation.
characterised by users with heterogeneous needs and heterogeneous stocks of
sticky information »
(Von Hippel, 2005).
Depuis la communauté vers les collectifs
Dans le discours actuel sur le community management, la conception même de l'objet communauté reste plus qu'approximative. De plus, cette vision tend à exclure les non-humains, or, et c'est là un point essentiel de notre thèse, ce mélange de natures est justement ce qui en fait la richesse. C'est pour ces raisons, expliquées dans les chapitres précédents, que nous utilisons le terme collectif. Ce terme introduit de l'incertitude quant à la nature des éléments qui le composent et il introduit aussi une plus forte dynamique conforme au mouvement continu d'agrégation. Parce qu'il distingue les non-humains, le discours du community management entretient une relation surprenante avec la technique. Si les technologies construisent les communautés d'utilisateurs ou de clients, elles n'en restent pas moins de simples supports passifs de communication. Cette relation est incongrue, voire contradictoire. Au contraire la technique est bien présente dans toute forme de collectif et elle y participe dans plusieurs dimensions.
En prenant les plateformes web comme point de départ, les communautés sont positivées à outrance. Là où il y a technique, il y aurait communautés, mais celles-ci resteraient néanmoins indépendantes de la technique. Selon cette approche, toutes les communautés d'utilisateurs deviennent alors équivalentes, parce que produites et donc correspondantes à un type de plateforme. Il n'est donc plus nécessaire de caractériser ni de distinguer ces communautés par leurs usages puisque c'est l'offre qui les définit. Ce mode de réflexion pousse à agir avec de supposées communautés.
Avec le concept de format communautaire, nous nous sommes efforcé de décrire et de distinguer ces regroupements. Un même collectif peut héberger plusieurs formats communautaires. De plus, nous avons aussi montré comment ces formats restent fortement liés aux formats techniques et aux formats de connaissances. Une lecture pertinente des collectifs exige de ne laisser de côté aucun de ces trois formats. Le marketing, lorsqu'il évoque des communautés, réfléchit en terme d'audience.
La littérature académique propose généralement, pour le marketing communautaire, deux options : trouver une communauté existante ou bien en créer une. Le community building est un processus long et complexe, fait d'imbrication de liens, d'alignement, de démultiplication et d'entrecroisement d'objets hétéroclites. Les collectifs de la diaspora bretonne montrent bien comment ils sont attachés de part et d'autre à plusieurs plateformes techniques et comment ils accumulent différentes activités, différents formats d'échange. Si un collectif est naturellement asymétrique, les leaders, ou plutôt les membres du noyau dur, n'en sont pas pour autant seuls maîtres à bord, et ils doivent composer avec tous les autres éléments, humains et non-humains. Un collectif est donc une imbrication continue de liens qui se mettent en place et qui se transforment. C'est en quelque sorte le bouillonnement d'activité et la prolifération des liens qui font vivre un collectif. Avec les technologies, il devient possible de suivre et d'interpréter ces traces. Plus un collectif agrège de liens différents, de techniques hétérogènes et de formats de collaboration distincts, plus il se solidifie.
Créer une communauté ou en annexer une est donc un travail ni simple, ni rapide. Parvenir à l'orienter selon son désir relève d'un exercice encore plus ardu, car il faut jouer sur les différents formats en présence avec l'ensemble des acteurs. Une vision étriquée des collectifs mène immanquablement à des échecs, à des situations de blocages, et les exemples sont nombreux. Nous sommes, par exemple, intervenu pour le compte d'une grande entreprise dont les services de recherche et de développement ont imaginé et conçu une plateforme communautaire avec l'objectif de sensibiliser ses clients à l'économie d'énergie. C'est donc la plateforme technique qui est arrivée la première. Développée et testée en interne, elle a été optimisée pour répondre aux spécifications qui découlaient des cas d'application imaginés. Une fois la plateforme jugée conforme, elle a été mise en ligne et a fait l'objet d'une campagne de communication. C'est à ce moment que sont apparus les problèmes d'usage, car la communauté tant espérée restait concrètement absente.
On se retrouve face à un cas concret où la technique, la plateforme web, bien que « communautaire » et « sociale », ne donne pas naissance à une communauté. La démarche adoptée par cette entreprise se retrouve chez de nombreux autres acteurs, dont l'erreur est de segmenter, définir solidement et de séparer les acteurs. La première segmentation est tout simplement l'étape de conception qui est effectuée en interne, tout comme le développement et les tests. Si quelques « vrais utilisateurs » sont démarchés pour avoir un retour, la société éditrice reste maîtresse de l'ensemble, et aucune dynamique communautaire ne peut prendre forme. Une démarche intéressante, qui ne confirme en rien un meilleur succès, aurait été par exemple de se rapprocher de collectifs déjà engagés dans l'économie d'énergie et/ou dans les mondes 3D, pour les intéresser au projet. En isolant la conception de l'usage, on élimine des situations favorables à la création de liens, tant sociaux que techniques. Exploiter des technologies open source, ou opter pour un « green hosting » aurait pu être une autre façon de créer du lien.
Les collectifs de la diaspora bretonne ne sont pas exempts de ce type de cas. Lorsque l'Institut de Locarn lance sa plateforme de veille économique, le modèle d'activité est déjà conçu et matérialisé au coeur de la plateforme, avec des processus inscrits dans le code. C'est une fois la plateforme collaborative testée et validée par les concepteurs que la question des contributeurs est posée. Tout le recrutement qui suit, consiste alors à formater des personnes pour les faire entrer dans le moule du contributeur. Le résultat est un nombre important de rejets et un intérêt soutenu de la part d'autres personnes que celles initialement ciblées. À la différence d'une organisation formelle, où les conventions, les contrats ou la législation, sont des moyens d'asseoir une autorité, les collectifs web ne sont régis que par des accords locaux.
Passés la discussion, la négociation ou le compromis, il ne reste bien souvent que la défection (Hirschman, 1970), surtout lorsqu'il y a peu de liens en place pour venir consolider la relation. Ces remarques sur la place de la technique dans les dimensions relationnelles permettent de revenir sur un des aspects du « community management version 2010 ». Ce rôle est parfois présenté comme celui qui humanise la relation supportée par les outils. Le community manager doit alors maîtriser les plateformes web 2.0, mais sans compétences informatiques. Il doit être un communicant, diplômé d'une école de commerce si possible, mais il ne doit surtout pas être un développeur, juste un utilisateur avancé. Cette distinction des rôles et des compétences revient à mettre la technique à l'arrière-plan. C'est pourquoi nous proposons d'utiliser, au lieu de community manager, la dénomination d'ingénieur socio-technique, c'est-à-dire celui qui compose le collectif. L'ingénieur socio-technique aborde, sur la même ligne, humains et non-humains, social et technique, notamment afin d'optimiser les couplages entre les éléments. Compte tenu de la place particulière des technologies dans les collectifs web, la compréhension fine des processus techniques est un atout. L'ingénieur socio-technique doit être capable de « lire » les formats techniques, de comprendre les paradigmes propres au code des plateformes pour effectuer les ajustements et aligner les différents formats. S'il est demandé au community management de recruter et de fédérer un noyau dur pour la communauté, il doit aussi sélectionner et composer les socles techniques. Ces deux actions doivent s'effectuer en même temps, au risque d'un mauvais alignement. Et, tout comme il est possible de mettre en place des codes de conduites, des chartes ou des bonnes pratiques, la relation aux objets techniques doit pouvoir se faire de même. Les choix doivent être réalisés en commun et pouvoir être remis en cause. Rappelons que le principe d'un collectif est de ne pas préjuger, ni de la nature, ni de la compétence.
Les choix et les décisions quant aux outils de communication restent une opportunité pour solidifier le collectif, qui est finalement le seul à même d'évaluer la pertinence d'une offre technique, surtout dans l'abondance d'offres. Si les blogueurs décrivent un community builder qui lance des communautés, ces dernières semblent par la suite vivre d'elles-mêmes, en exploitant l'inertie du lancement, tout en conservant leur forme et leur dynamique. Or, et c'est bien ce que nous avons démontré, une communauté, comme tout collectif, demande un entretien et une attention permanente toute particulière, sans quoi elle risque de se désagréger.
Elle a par exemple besoin d'objets intermédiaires (Vinck) qui matérialisent les échanges. La circulation et le renouvellement des membres au sein d'une communauté sont généralement un signe de dynamisme, et cela s'applique tout autant aux technologies. Le community manager devient alors un ingénieur socio-technique, un composeur de collectifs. Ce dernier n'a pas pour mission de devenir leader, ni de piloter le collectif, mais bien de participer directement aux activités en veillant à introduire toujours plus de nouveauté. Ces nouveautés ne sont pas introduites en vue d'un objectif déterminé mais simplement pour susciter des réactions, sans présupposer de la direction que cela pourrait prendre.
Quelle stratégie d'animation ?
Le community management, tel qu'il est traité dans la blogosphère, est abordé avec une vision réduite qui met de côté certaines propriétés essentielles de l'objet. Le propos n'est cependant pas de soutenir l'idée selon laquelle les collectifs web n'auraient rien à apporter au marketing.
L'argument réside dans le fait qu'il faut prendre davantage de distance et qu'il faut accepter la non-maîtrise. Autrement dit, un sponsor qui recherche une communauté pour accroître sa réputation a beaucoup de risques d'obtenir l'effet inverse.
L'idée que nous souhaitons mettre en avant est que toute action productive réalisée avec un collectif nécessite l'autonomie de ce dernier. Un collectif ne vit pas en captivité. Dans cette situation d'incertitude, il reste au sponsor à concevoir une méta-stratégie qui garantit la perte de contrôle. Nous parlons ici de méta-stratégie car il n'existe pas de recette pour atteindre un objectif. L'erreur courante est de vouloir manager un collectif pour l'emmener vers un but précis. Or cette démarche nécessite la mise en place de moyens de contrôle, d'outil d'évaluation, qui viennent à l'encontre du principe d'autonomie. Les sponsors, et plus particulièrement les entreprises, imaginent, à tort, que les collectifs web fonctionnent avec des schèmes identiques aux leurs. Les régimes d'engagement peuvent là encore aider à approfondir la distinction. Si l'activité marketing tend davantage vers un régime d'engagement en justification, alors la stratégie tend vers un régime de l'action en plan, de l'acteur dans toute sa rationalité. La stratégie relève d'un plan construit pour atteindre un objectif, à l'aide des ressources disponibles. Le régime d'action en plan est celui de l'être calculateur et rationnel, dont la problématique essentielle est la coordination optimale des ressources. Parfois, un collectif peut adopter ce régime d'engagement. C'est le cas, par exemple, lorsque les Bretons de New York organisent une série de concerts et d'événements. Mais cette phase n'est pas la caractéristique essentielle du collectif, ni sa raison d'être. Le collectif vit localement, de rencontres physiques régulières, et ses activités en ligne ou dans la presse sont réduites. Cette façon de se fréquenter, d'interagir, la situe dans un régime d'engagement en proche, où la proximité, de quelque nature qu'elle soit, construit et consolide les relations.
Adopter une méta-stratégie
Le ressort essentiel des collectifs relève donc d'un régime du proche, d'une forme de familiarité où les routines et les habitudes gouvernent. Les collectifs se distinguent par un contact local, un couplage particulier qui est adapté à la situation et que l'on ne peut donc que difficilement reproduire ailleurs. Ce régime du proche permet de renforcer les liens, de les étendre au voisinage sans la nécessité de recourir en permanence à des montées en généralité.
Pour un sponsor, l'approche stratégique est risquée, et il doit donc privilégier un répertoire de postures, sans refermer sur quelques critères les conditions de collaboration. En réduisant l'apport d'un collectif à la vente d'un produit ou à la réputation d'une marque, le risque de déception est élevé, car il reste excessivement délicat d'emmener un collectif sur une voie précise. Aussi, il est préférable pour un sponsor d'arriver avec des idées souples et agiles, qui ne soient pas trop préconçues. Les collectifs, et leur régime du proche, sont davantage alertes dans l'exploration que dans la réalisation de projets. Un sponsor, prenons le cas d'une entreprise qui s'intéresse aux innovations développées par un collectif (Von Hippel), va naturellement tenter d'optimiser le processus en stabilisant et en alignant fortement les médiateurs. En faisant cela, le sponsor reproduit ses propres schèmes de pensée et appauvrit immanquablement la capacité exploratoire du collectif. Les communautés de pratique en entreprise démontrent leur capacité à explorer le domaine de connaissances, et le community coordinator veille à protéger sa communauté des schèmes de l'entreprise. Dans le cas du marketing, la stratégie fonctionne tant qu'il s'agit de gérer le site web de la compagnie, ou d'organiser des jeux concours au travers de sites promotionnels. Avec le web 2.0, il s'agit d'accepter de perdre le contrôle et d'avancer dans un environnement incertain. Alimenter une page profil sur Facebook ne relève pas des mêmes exigences de contrôle qu'un site web développé par un prestataire sous contrat. Dans la présentation du community management faite au début de ce chapitre, le community manager est en bas de l'échelle hiérarchique et il est chargé de mettre en application la stratégie pensée dans les sphères supérieures. Mais
comment appliquer une stratégie à un monde dont on ne maitrise aucun élément ? Le modèle stratégique est linéaire, c'est-à-dire qu'il définit une façon d'atteindre un objectif et de produire les effets escomptés. Comment tenir une trajectoire dans un milieu aussi dynamique et incertain que celui du web 2.0 ? S'il n'y a pas d'adaptation permanente aux circonvolutions mouvantes du terrain, la démarche est vouée à l'échec. Agir avec fermeté, suivre son plan et l'appliquer aux autres, est au mieux un risque de se faire rejeter du collectif, et au pire, un risque de détruire la dynamique du collectif. Aborder un collectif pour le manipuler, c'est oublier qu'il s'agit d'un organisme autonome particulièrement réticent aux ordres, surtout lorsqu'ils viennent de l'extérieur. Sur certains forums par exemple, on identifie des moyens de protection mis en place par les collectifs. Ainsi, les messages promotionnels ne sont autorisés que pour des membres ayant un investissement avéré. Si un membre périphérique, voire externe au collectif intervient en décalage et de façon trop insistante, il se fait bannir. L'effet produit est alors inverse à celui recherché par un sponsor. Si un collectif est ouvert et dynamique, il est néanmoins capable d'identifier des agressions et de réagir pour se préserver. Certains Diaspora Knowledge Networks offrent une illustration de l'échec de ces stratégies. Tout au long des années 1990, des administrations nationales ont investi dans du matériel et des ressources humaines pour mobiliser leur diaspora scientifique dans le développement local. J-B Meyer détaille les faiblesses et les limites qui ont amené ces organisations à abandonner leur projet. Il préconise pour ces initiatives une forme de co-développement dans laquelle le sponsor, qui fournit les ressources, n'est pas celui qui les sélectionnent ni qui les met en oeuvre. Ce type de coopération exige un haut niveau de confiance mutuelle. Lorsque Meyer invite, pour dépasser les limites inhérentes aux DKN, à multiplier les médiations, c'est une façon de mettre en évidence la multitude d'hypothèses de départ qui doivent coexister. Cette méthode pragmatique est une façon d'accepter l'incertitude, d'expérimenter en parallèle, tout en créant du lien local. Plus que de concevoir de bout en bout, il s'agit d'explorer et de consolider rapidement pour avancer pas à pas. La démarche est donc résolument non moderne, incertaine et non maîtrisée.
La dynamique open source peut servir d'inspiration pour concevoir cette méta-stratégie. Les logiciels libres prolifèrent, donnent naissance à des branches, à des versions alternatives. Certains projets s'arrêtent et d'autres continuent à mesure qu'il participent au bien commun. D'une multitude de projets naissants, quelques-uns seulement sortent du lot, avec leur part de fonctions innovantes. C'est pourquoi, à la métaphore balistique, nous préférons celle de l'écologue qui est en permanence confronté à une multitude de choix et d'orientations possibles, sans qu'aucune ne soit naturellement supérieure aux autres. L'écologue veille à maintenir une certaine diversité et privilégie les relations qui se développent entre les différents éléments en place. Il accompagne plus qu'il ne dirige, il fait preuve d'une capacité d'écoute. Il peut choisir de protéger son milieu et de le maintenir tel quel, de le conserver ou d'intervenir plus directement. Il peut alors introduire de nouveaux composants ou réaliser des hybridations. L'écologue base sa démarche sur l'analyse et l'observation, aussi il a une très bonne connaissance du terrain, des propriétés et des actions de chaque composant.
Cette posture permet d'appréhender les collectifs et les relations sponsors-communautés-connaissances-
technologies comme un milieu vivant, où les éléments se nourrissent les uns des autres. L'écologue, sauf peut-être cas exceptionnel, n'est pas dans une politique de la « table rase », il réfléchit en terme de colonisation et anticipe sur la croissance de chaque élément de base. Les transformations sont progressives et des ajustements se réalisent pas à pas, en accord avec le milieu qu'il s'agit de conserver. Tel le naturaliste, le composeur de collectif observe, empiriquement, les conditions et les voisinages les plus propices à l'hybridation, à la fertilisation croisée. Les formats techniques, communautaires et de connaissances constituent des outils d'observation et des leviers sur lesquels il reste possible d'intervenir. Le travail de l'écologue est de favoriser les croisements et la vivacité du milieu, maintenir l'habitat sans capturer le collectif.
Cette posture de l'écologue n'est pas incompatible avec l'action de monitoring affectée au community management. Au contraire, pour s'assurer d'une bonne compréhension l'ingénieur socio-technique met en place des dispositifs de suivi qui produisent des flux d'information pour surveiller en temps réel. Mais, abordée comme une activité de veille, elle ne permet que de gérer la crise après coup, et non de l'anticiper. Mais les flux continus d'information peuvent néanmoins être stockés puis analysés, pour alimenter une réflexion plus longue. Si la veille appelle à observer et réagir rapidement, l'observation au long cours permet d'identifier certaines régularités et de saisir les propriétés essentielles du collectif. Ces données ainsi consolidées apportent aussi au collectif des outils réflexifs qui le confortent dans son autonomie. S'il ne doit pas imposer sa vision, le composeur de collectif doit cependant accepter le fait qu'il est un médiateur à part entière, avec une place au sein du collectif. Mais au lieu d'orienter le collectif vers une finalité, il doit surtout agir pour en accroître l'espérance de vie.
Stratège | Ecologue |
Construit son modèle en avance | Discute et rencontre les membres du collectif |
Imagine et se met à la place de l'utilisateur | Sélectionne et compose |
Dirige et contrôle | Réoriente et adapte |
Anticipe les effets | Avance et relie |
Conserve sa ligne directrice | Révise et négocie |
- Gestion de projet | - Voisinage |
- Approche linéaire | - Approche discursive |
- Développement en cascade | - Extreme Programming |
- Ressources | - Composants |
- Prédation / production | - Protection / échange |
- Efficacité | - Diversité |
- Performance | - Équilibre |
- Description | - Dynamisme |
Figure 1 : Stratège vs Écologue.
Équiper la pluralité et l'incertitude
L'ingénieur socio-technique, le composeur de collectif, n'est donc pas là pour appliquer ni mettre en oeuvre une stratégie qui aurait des effets sur le collectif au bénéfice d'un tiers. Tel que nous l'imaginons, le composeur de collectif est rémunéré par un sponsor. Nous prendronscomme exemple de sponsor une entreprise, mais d'autres types de sponsors peuvent exister. Selon les « méta-objectifs » du sponsor, l'ingénieur socio-technique va être amené à adopter plusieurs postures. Bien que rémunéré par le sponsor, l'ingénieur socio-technique fait partie du collectif et il peut donc proposer et imaginer des stratégies internes en tant que membre. Le collectif peut être vu comme un milieu d'expérimentation qui fonctionne par une succession d'essais-erreurs. À la suite de ces expériences, le collectif intègre certaines innovations et abandonne certaines pratiques. S'il peut éventuellement avoir une vision de lui-même à long terme, le collectif avance à petits pas. C'est donc toute la mission de l'ingénieur sociotechnique que de préparer son terrain, et pour cela il peut recourir au monitoring du collectif et à une observation au travers des formats. Car si l'ingénieur socio-technique n'est pas en capacité de dérouler une stratégie, il peut cependant intervenir sur le collectif, au même titre que les autres médiateurs. S'il ne peut diriger le collectif, il peut cependant proposer des orientations, ouvrir des pistes, le tout en collaboration avec le sponsor. Le composeur de collectif adopte une multiplicité de postures pour faire face à un pluralisme de raisons. Le collectif ne relevant pas d'une convention, aucune raison n'est supérieure aux autres. Ces postures définissent différentes façons d'agir et les modalités relationnelles selon Descola (Descola, 2005) sont particulièrement intéressantes sur cet aspect. Les quatre ontologies (Animisme, Totémisme, Naturalisme, Analogisme) sont articulées selon un principe de différence ou de ressemblance des intériorités et des physicalités des êtres. Ces quatre ontologies, dans lesquelles il est possible de répartir toute civilisation, se combinent avec six formes d'attachement (échange, prédation, don ; production, protection, transmission).
Dans ce modèle, ceux que nous appelons les modernes (à la base des concepts de nature et de culture) sont caractérisés par l'ontologie naturaliste. Les modernes distinguent les êtres par leur intériorité, selon qu'ils possèdent ou non, une âme. Dans cette ontologie, le rapport de production est très présent. Les êtres humains transforment la matière première pour produire des choses et alimenter la croissance. Dans cette même posture les technologies produisent des communautés et l'offre produit un usage. La production intègre une dissemblance des êtres producteurs de ceux qui sont produits. Ils sont détachés l'un de l'autre. Dans le cas des communautés de pratique décrites par Wenger, le collectif produit des experts, qui travaillent pour le sponsor. Mais la description du community coordinator (Wenger et al., 2005) peut être vue selon une posture protectrice. Le coordinateur veille à maintenir l'ambiance particulière, il protège sa communauté des schèmes de l'entreprise sponsor. Dans cette relation, la protection peut suggérer une forme de faiblesse, mais
« la protection n’est pas un modèle de maîtrise étendue avec une touche de compassion. Elle oblige à admettre la relativité [du] rôle car [ilaccompagne] la vie, tout en étant responsable de bien accompagner. » (Boullier, 2010).Comme un accoucheur, le composeur de collectif assiste le travail, il préserve l'adéquation du milieu à la tâche.
Restons dans le monde de l'entreprise pour illustrer la relation de prédation, une troisième forme d'attachement entre des objets semblables. Il y a quelques années, l'industrie pharmaceutique française n'était pas autant concentrée et la concurrence était encore une valeur associée au capitalisme. Certaines grandes entreprises soutenaient ainsi officiellement un réseau d'entreprises locales plus petites, et plus ou moins concurrentes. Mais ces grandes entreprises se gardaient le droit de prendre à tout moment un élément intéressant (idée, entreprise, personne, brevet, etc). C'est de cette posture de prédation que sont soupçonnés les grands groupes industriels en panne d'innovation, lorsqu'ils rejoignent les pôles de compétitivité régionaux.
Des six modes d'attachements proposés par Descola, la protection semble la plus adéquate pour qualifier la relation avec les collectifs. Le protecteur est aussi celui qui porte son attention au collectif, et c'est justement ce qu'identifient Cardon et Levrel à partir de leur observation de Wikipédia. On qualifie habituellement Wikipédia de communauté épistémique, c'est-à-dire un collectif engagé dans la production de connaissances. Celles-ci résultent généralement des échanges entre les experts et les novices. Les traces produites au cours des résolutions de problèmes peuvent être consolidées et suivies de façon asynchrone et distante. À partir de la méthode Jacotot, les auteurs proposent une approche toute différente. Ils démontrent que les pages de Wikipédia ne sont pas rédigées par des experts, mais principalement par des novices et des amateurs qui produisent un grand nombre d'articles de qualité, même sur des sujets qu'ils ne maîtrisent pas. Les discussions qui se déroulent autour des pages ne visent donc pas tant à certifier la qualité et la précision du contenu, qu'à vérifier que chaque argument respecte les consignes. Wikipédia a mis en place des procédures de gestion des conflits et des règles, autrement dit des conventions, quant à la rédaction des articles.
L'intelligence de Wikipédia « ne procède pas d'une addition des savoirs, ou de toute autre règle de composition des connaissances individuelles, mais de l'attention collective que met chacun à révéler son intelligence en veillant à ce que tous fassent le même effort »La communauté des contributeurs produit Wikipédia, non pas parce qu'ils regroupent à eux tous une foule d'experts sur l'ensemble des sujets, mais bien parce qu'ils se portent une attention mutuelle. Les procédures permettent de justifier et de normaliser le contenu des articles et le type d'argument légitime. La surveillance mutuelle est une façon de maintenir un certain niveau de qualité. Ce propos se rapproche des positions de Jean Lave lorsqu'elle soutient que la production de connaissances est finalement un « effet » (une production ?) des relations sociales. On se rapproche ainsi du régime d'engagement du proche comme moyen de production de connaissances. En terme de production de connaissances dans les collectifs, le modèle de l'attention devient donc une alternative intéressante au modèle de la propagation. Mais dans un monde où l'information est abondante, c'est l'attention qui devient une ressource rare (Boullier, 2009). Appliquée à l'ingénieur socio-technique, la surveillance mutuelle concerne tout autant les humains que les non-humains.
(Cardon et Levrel, 2009).
Composer des mondes communs revient à jouer avec la diversité des collectifs et donc à la maintenir. Cette diversité est l'un des principes essentiels de tout collectif. L'économie de marché et la libéralisation ont tendance à favoriser la concentration, aussi, l'ingénieur sociotechnique intervient pour que le collectif légifère en faveur d'un principe de multiplicité. Composer un collectif relève donc d'un travail d'équilibre. Si l'alignement est un moyen de solidifier le collectif, poussé à l'extrême il risque de l'appauvrir. Il n'y a donc pas de recette, car aucune situation n'est jamais similaire. Néanmoins, les formes d'attachement de Descola pourraient peut-être constituer une première liste des ingrédients de base. Le programme proposé par Descola se révèle très stimulant pour aborder cette notion de collectif et de composition de mondes communs. Nous l'avons hélas découvert trop tardivement pour l'exploiter d'avantage.
Pour résumer, la choix fondamental est à réaliser entre renforcer l'alignement et solidifier le collectif en gardant le même cap, ou introduire de la diversité pour proliférer et s'étendre. Parce qu'il équilibre ces deux questions et qu'il connait les attentes du sponsor, l'ingénieur socio-technique est l'accoucheur qui fait émerger un accord. Aligner un collectif le durcit, le rend plus fort mais aussi le spécialise. Plus il est défini, plus le collectif devient efficace, il produit des choses, mais dans un monde incertain, il devient aussi plus faible. En faisant le choix de l'hétérogénéité, le collectif s'élargit, il prolifère, avec le risque que certaines initiatives ne durent pas, soient rejetées. Faut-il préciser le style et creuser dans la même direction au risque qu'une seule dimension devienne supérieure et agrège les autres ?
L'ingénieur socio-technique est celui qui va pouvoir aligner suffisamment tout en agglomérant et en optimisant les couplages. En tant que gardien de la diversité, il accepte une pluralité de posture et fait son possible pour les maintenir, il n'est pas là pour émettre un jugement mais pour servir d'interface entre des postures, parfois concurrentes mais complémentaires.
Répertoire d'actions du composeur de collectifs
• susciter des opportunités de création de lien
• entretenir et consolider les liens à l'aide d'objets intermédiaires
• introduire de nouveaux outils et de nouvelles technologies
• recruter des membres, favoriser l'intégration au sein du collectif
• introduire de nouvelles façons de faire
• explorer, tester
• sélectionner dans l'existant
• identifier les formats
• monitorer le collectif
• offrir des outils de réflexivité
• rendre visibles les propriétés de la communauté : dynamisme, asymétrie,
hétérogénéité
• composer un environnement socio-technique fertile
• intégrer les nouveaux acteurs, créer du lien, (bounding)
• maintenir l'hétérogénéité
• informer le sponsor
• proposer des postures et des orientations possibles au collectif
Figure 2 : Les actions du composeur de collectif.
Conclusion
L'activité que nous avons menée entre mars 2006 et décembre 2009 ne relève pas de la vente, ni de la gestion de marque, cependant elle a permis de construire une approche originale de la composition des collectifs, qui rompt nettement avec la vision du community management. La richesse des terrains, ajoutée à la réflexion théorique offre d'élargir les prérogatives et la conception récente du community management. L'ingénieur socio-technique, qui prend la place du community manager, est équipé pour l'incertitude. Chacune de ses décisions fait face à une pluralité de choix. Ses compétences techniques lui permettent d'aborder sur un même plan les relations sociales et techniques, pour qu'elles s'auto-alimentent et se renforcent mutuellement. Les collectifs se caractérisent par leur hétérogénéité, c'est-à-dire la capacité à faire coexister plusieurs mondes, et par une certaine plasticité, qui est la capacité à se transformer, à se remettre en cause.
Libellés :
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Thursday, January 06, 2011
Sélection de chapitres : Social network Sites & Community Management
Je mets à disposition mes trois premiers chapitres en téléchargement
Le premier est une introduction aux réseaux sociaux, avec une approche très médiatique et orientée web :
Je mets cette approche en perspective avec différentes traditions des SHS.
Le chapitre suivant esquisse une cartographie générale de la diaspora bretonne
Chapitre 3 Une diaspora bretonne unifiée ?..............................................................69
3.1 Aperçu des diasporas classiques....................................................................69
3.2 Peut-on parler d'une diaspora bretonne ?.......................................................78
3.3 Sélection et présentation des terrains d'études..............................................81
3.4 Bzh-NY, un collectif ethnique d'expatriés........................................................83
3.5 Des organismes qui performent la diaspora bretonne....................................85
3.6 Des jeux d'acteurs et des alliances rompues..................................................94
3.7 Cartographie du web de la diaspora bretonne................................................96
3.8 Conclusion.....................................................................................................100
Télécharger les trois premiers chapitres
Le premier est une introduction aux réseaux sociaux, avec une approche très médiatique et orientée web :
Chapitre 1 Un aperçu des plateformes de réseaux sociaux......................................11
1.1 Les réseaux sociaux dans le discours médiatique..........................................11
1.2 Les réseaux sociaux sont des plateformes techniques..................................19
1.3 Les réseaux sociaux sont des entreprises......................................................24
1.4 Les réseaux sociaux s'installent dans le débat public....................................30
1.5 Conclusion.......................................................................................................33
Je mets cette approche en perspective avec différentes traditions des SHS.
Chapitre 2 Comment les sciences sociales abordent-elles les réseaux ?.................35
2.1 L'émergence du concept de réseau................................................................35
2.2 Les réseaux dans les sciences sociales.........................................................41
2.3 Communautés et réseaux : différentes formes de regroupements humains..49
2.4 La sociologie de la traduction pour aborder les réseaux sociaux...................56
2.5 Conclusion.......................................................................................................67
Le chapitre suivant esquisse une cartographie générale de la diaspora bretonne
Chapitre 3 Une diaspora bretonne unifiée ?..............................................................69
3.1 Aperçu des diasporas classiques....................................................................69
3.2 Peut-on parler d'une diaspora bretonne ?.......................................................78
3.3 Sélection et présentation des terrains d'études..............................................81
3.4 Bzh-NY, un collectif ethnique d'expatriés........................................................83
3.5 Des organismes qui performent la diaspora bretonne....................................85
3.6 Des jeux d'acteurs et des alliances rompues..................................................94
3.7 Cartographie du web de la diaspora bretonne................................................96
3.8 Conclusion.....................................................................................................100
Télécharger les trois premiers chapitres
Tuesday, December 21, 2010
Soutenance de Thèse
Enfin,
le vendredi 10 décembre dernier, à 14h j'ai soutenu ma thèse de sociologie intitulée :
Sociologie de la composition des collectifs Web 2.0 : le cas de la diaspora bretonne.
Le jury était composé de :
(A noter que l'université de Rennes 2 ne décerne plus de félicitations)
le vendredi 10 décembre dernier, à 14h j'ai soutenu ma thèse de sociologie intitulée :
Sociologie de la composition des collectifs Web 2.0 : le cas de la diaspora bretonne.
Le jury était composé de :
- Pierre Musso (président)
- Antoine Hennion (rapporteur)
- Serge Proulx (rapporteur)
- Dominique Boullier (directeur de thèse)
(A noter que l'université de Rennes 2 ne décerne plus de félicitations)
LES USAGES D'INTERNET DANS LES RÉSEAUX DIASPORIQUES
I Un aperçu des usages diasporiques
On a longtemps pensé que la diffusion mondiale des technologies de l'information viendrait limiter les déplacements en favorisant le télétravail. Dans le même temps, on pensait que l'internet viendrait fluidifier la rencontre de l'offre et de la demande sur le marché du travail, accroissant alors la mobilité. Près de 30 ans après la création du réseau, il reste difficile de valider l'une ou l'autre de ces hypothèses. Aujourd'hui, certains voient dans internet un vecteur de mondialisation. Les mêmes technologies sont présentes à l'échelle mondiale, et elles joueraient donc en faveur d'une homogénéisation des pratiques. En effet, les acteurs emblématiques du web, tels Google, Yahoo, Ebay ou Facebook proposent les mêmes services dans des centaines de pays et dans des centaines de langues. Le problème de cette idée d'une mondialisation portée par les applications internet est qu'elle repose exclusivement sur une attention portée à l'offre. Même sans évoquer la censure ou le filtrage, les internets nationaux restent disparates. Si l'on s'intéresse aux usages, compléments de l'offre technologique, on perçoit davantage une hétérogénéisation des pratiques et une prolifération d'activités innovantes. Mais c'est peut-être là finalement que réside le sens du terme globalisation ?
Nous ne proposerons pas une énième définition du terme diaspora, mais rappellerons seulement que l'origine du terme le rapproche de la notion de malédiction (Dufoix, 2003). Au cours des siècles, à cette dimension traumatique de la diaspora, se sont ajoutées d'autres valeurs telles que la mobilité, la fluidité, la multi-appartenance, la mixité. Nous utiliserons diaspora dans une acception large, celle des « peuples dispersés qui maintiennent un lien communautaire par référence à une terre d'origine » (Chivallon, 2006). Les technologies internet ne révolutionnent pas les diasporas, et d'autres technologies de communication à distance sont déjà venues, par le passé, diversifier les modalités relationnelles. Ce qui nous intéresse ici est d'observer en détail ce qui change avec internet et le web. Pour cela, la figure du « migrant connecté » (Diminescu, 2010) offre une intéressante entrée en matière. Cette image illustre les transformations apportées avec les technologies dans le quotidien des migrants. L'offre technologique et la baisse généralisée des coûts de communication participent à transformer et à enrichir la façon dont un expatrié échange avec ses proches, restés au pays. De la communication intermittente par courriers ou par appels téléphoniques longues distances, on passe à une relation plus continue avec le mail ou la voix sur IP. Avec la visioconférence, il devient même possible d'être ensemble, sans forcément se parler, de partager des moments intimes comme des soirées ou des repas. Pour Diminescu, le migrant connecté quitte la double absence au profit d'une double présence.
Dans une approche plus macroéconomique, les transformations apportées par les échanges électroniques ont révélé l'attrait de certains expatriés pour leur pays d'origine. C'est ainsi que la Colombie, par exemple, a vu des chercheurs expatriés prendre part, principalement au travers d'échanges mail, à la conception et à la mise en œuvre d'une réforme du système scientifique national. Sur ce modèle de participation des expatriés hautement qualifiés au développement de leurs pays d'origine, de nombreux Diaspora Knowledge Networks ont émergé sur le web. En 2005, Turner (Turner, 2009) recense une centaine de Diaspora Knowledge Networks actifs pour une quarantaine de pays d'Amérique Latine, d'Asie et d'Afrique. Plus qu'un apport d'expertise, ces expatriés qualifiés représentent de véritables portes d'entrée vers les ressources, les connaissances, les clients, et plus généralement les débouchés de leur pays d'accueil. Les pays industrialisés adoptent aussi ce type de sollicitation pour attirer davantage d'investissements étrangers ou pour contrebalancer la mythique fuite des cerveaux, déjà compensée par des flux migratoires multilatéraux et polycentriques. La généralisation de ces organisations participe aussi à changer la perception des diasporas, et plus généralement des migrants. On y distingue dorénavant les porteurs de compétences et les porteurs de projets, qui sont à la base d'échanges internationaux.
Après cette introduction très générale, nous proposons d'observer plus particulièrement le cas de la diaspora bretonne.
II La diaspora bretonne
La Bretagne est une région française dont les quatre départements officiels comptent trois millions d'habitants. Au cours du XXe siècle, et avant, ce territoire a connu d'importantes vagues d'émigration. Les jeunes diplômés et la main d'œuvre agricole de cette société essentiellement rurale, partaient pour d'autres régions et d'autres pays à la recherche d'un emploi. À partir des années 1960, les politiques d'aménagement du territoire ont proposés des réponses à cet exil. Bien que les statistiques françaises ne permettent pas d'évaluer précisément l'ampleur du phénomène, les jeunes diplômés bretons continuent d'éprouver un fort attrait pour Paris et pour l'international. Pour mieux comprendre les collectifs web de la diaspora bretonne, nous en avons observés trois en détail, entre 2006 et 2009. Ces trois collectifs prennent place au sein d'un ensemble bien plus vaste d'associations et de projets qui mobilisent la diaspora bretonne sous différentes modalités.
II-1 les Bretons de New York
L'Amérique du Nord a constitué une destination commune pour de nombreux migrants bretons. Outre les mines et les carrières, la restauration offrait aussi des opportunités d'emploi. C'est ainsi que l'Association bretonne de New York, qui regroupait quelques centaines d'expatriés, est apparue au cours des années 1960. Mais en 2005 cette association n'est plus qu'un vestige et cela déçoit tout particulièrement Olivier, un trentenaire qui s'installe à New York avec sa famille. En effet, il a parcouru le monde ces dix dernières années, et dans chaque pays, il a pu compter sur l'aide d'un réseau local breton. Face à cette lacune, il décide alors de remettre sur pied un nouveau collectif à New York. En quelques mois seulement, avec l'aide de Skype, des plateformes de réseaux sociaux, des plus traditionnels forums web et de sa messagerie, Olivier parvient à rassembler une cinquantaine de Bretons. Le statut de « non-profit organization » est déposé en milieu d'année 2006, juste après que ce jeune collectif ait accueilli un groupe de musique traditionnel, invité pour une semaine de festivités, dont un concert au Carnegie Hall et un défilé sur la célèbre Ve avenue pour la Saint-Patrick. Internet et le web ont fluidifié les échanges et ont favorisé, parfois au hasard, certaines rencontres. Mais les technologies ont aussi permis à de nombreuses personnes de suivre l'avancée du projet et de s'y investir à leur niveau (sponsor, promotion, hébergement des artistes, etc.). Sans la participation de ces nombreux bénévoles diversement engagés, l'événement n'aurait certainement pas eu lieu, et n'aurait pas été reproduit dans d'autres villes. Néanmoins, les technologies n'ont pas réalisé le projet par elles-mêmes. Ce n'est qu'associées au professionnalisme et au dynamisme du noyau dur du jeune collectif de New York, qu'elles ont amplifié l'événement.
Depuis, l'association s'est consolidée avec des événements réguliers de moindre ampleur qui facilitent l'intégration des nouveaux arrivants et permettent aux plus anciens de partager des moments conviviaux. Alors que le site web de l'association avait été conçu comme un outil promotionnel, il forme aujourd'hui un support de mémoire collective en mixant un agenda avec des albums photos. Le résultat se rapproche alors d'un album de famille en ligne, consulté tant par les participants que par leurs familles en Bretagne, et plus généralement par la diaspora bretonne. Au-delà des aspects familiaux ou culturels, ce sont aussi les prémices d'un réseau économique qui se mettent en place. En effet, les sponsors de l'association distribuent par ce biais leurs produits et travaillent, entre autres objectifs, pour la promotion du tourisme en Bretagne. D'autres entreprises, intéressées par les débouchés dans cette zone géographique, commencent par contacter ces personnes déjà bien implantées localement.
II-2 Diaspora Économique Bretonne
La collaboration économique est justement l'activité visée par Diaspora Économique Bretonne depuis le début des années 2000. Ce collectif est l'œuvre d'une association d'entrepreneurs bretons, qui s'est inspirée de l'organisation officielle écossaise Globalscot, pour faciliter la mise en relation de chefs d'entreprises et de professionnels avec leurs homologues expatriés. Pour faciliter l'élaboration de projets économiques internationaux, Diaspora Économique Bretonne propose une base de données de contacts qualifiés (400 contacts dans 50 pays). Le site web de l'organisation s'inspire des plateformes de places de marché mais y adjoint des blogs pour proposer une activité de veille économique. Le fonctionnement du collectif est centralisé au sein d'un comité de pilotage qui maintient la base de données, publie des newsletters et assure le service de mise en relation selon les demandes. En 2006, le format technique du collectif s'élargit pour investir un groupe sur la plateforme de réseaux sociaux Linkedin. La viralité inhérente à la plateforme accroît significativement le nombre de membres du groupe. Les mises en relation et les échanges business ne sont plus centralisés sur la place de marché mais exploitent de nouveaux canaux de diffusion plus directs.
Diaspora Économique Bretonne est une initiative intéressante qui s'éloigne des valeurs culturelles et conviviales habituellement associées aux collectifs ethniques. Il est possible de voir une source d'inspiration de ce collectif dans les grandes familles entrepreneuriales qui, avant les États-nations, constituaient de véritables entreprises multinationales. Ces Diaspora Entrepreneurial Networks (McCABE, 2005) jouaient de leur indépendance et de leur présence au cœur des différents empires pour organiser les échanges de marchandises. Aujourd'hui, les technologies internet permettent de revisiter des modes de collaboration anciens pour les reconfigurer.
II-3 BZH NETWORK
Bzh Network est le troisième collectif observé de la diaspora bretonne. Ce collectif est plus innovant que les deux précédents car profondément associé au web par sa fluidité et la façon dont il se laisse guider et transformer au gré des plateformes qu'il colonise. C'est sur Viadéo, une plateforme de réseaux sociaux professionnels, qu'un expatrié breton vivant au Japon ouvre, en décembre 2005 un hub, hybridation d'un forum de discussion et d'un blog, qu'il intitule « Bretagne > Bzh Network ». Son idée directrice est de constituer « une intelligence collective bretonne en réseau ». Pendant plusieurs mois, un nombre croissant de membres va ainsi produire une revue de presse en commun. Plus tard, alors qu'un millier de membres a rejoint le groupe, les échanges se diversifient avec des annonces d'emplois, des discussions sur l'actualité, des demandes de services ou la rencontre physique de certains. Si les échanges sur la plateforme de réseaux sociaux sont dynamiques, il ne faut pas négliger les intenses discussions entre les membres du noyau dur, échanges qui se déroulent par mail et par Skype.
Avec le temps, Bzh Network élargit ses activités. Ainsi, une PME locale lui offre une plateforme collaborative dédiée, notamment pour lui permettre de dépasser les restrictions du hub de Viadéo. Cette plateforme dédiée accueille de nouveaux types de documents, et en particulier des photos que s'échangent différents collectifs bretons du monde entier. On y trouve aussi des interviews, puis un système de partage de flux RSS. Le collectif continue de proliférer en s'installant sur Facebook. Ce faisant, le collectif attire de nouveaux membres, et les pratiques qu'ils font émerger sur la plateforme sont différentes des pratiques précédentes. Sur Facebook, on s'échange des contacts dans différents pays, on crée d'autres groupes bretons avec des appellations normalisées, etc.
Avec près de 5000 membres répartis sur différentes plateformes fin 2009, Bzh Network regroupe pour moitié des résidents bretons et pour moitié des expatriés. Ensemble, ils interviennent dans l'agenda politique régional, par exemple au travers de sondages repris dans la presse sur des questions d'actualité, comme la réforme territoriale de 2009 ou le projet de taxe carbone. Bzh Network regroupe des personnes sans distinction d'origine, d'activité, ni de localisation, et cela produit une véritable émulation pour un collectif lui-même hétérogène.
III Conclusion
Les Bretons de New York ou la Diaspora Économique Bretonne s'inspirent de formats diasporiques existants pour les renouveler et les hybrider à l'aide des technologies de l'information. Un collectif comme Bzh Network se laisse porter par des technologies fluides qui le transforment et le plient. Ces collectifs bien distincts regroupent cependant plusieurs milliers de personnes et seulement une demi-douzaine de technologies. L'offre de services internet peut donc être vue comme un ensemble de micro-services, que chacun est à même de combiner pour composer une réponse qui prend place dans des processus cognitifs bien spécifiques.
BIBLIOGRAPHIE
CHIVALLON, C. Diaspora, ferveur académique autour d'un mot. In : Les diasporas dans le monde contemporain. Paris: Karthala/MSHA, 2006.
DIMINESCU, D. Les migrants connectés T.I.C., Mobilités et migrations. Réseaux, 2010, Vol. 1, N° 159, 276 p., 2010.
DUFOIX, S. Les diasporas. Paris : Presses universitaires de France, 2003.
LE BAYON, S. Les TIC dans les collectifs diasporiques : étude des Bretons à New York. Tic et Société (en ligne). Disponible sur : , 2010, Vol.3, N°1-2.
MCCABE, I.-B., HARLAFTIS, G., MINOGLOU, I.-P. Diaspora entrepreneurial networks: four centuries of history. New York : Berg Publishers, 2005.
TURNER, W.A., MEYER J-B, de GUCHTENEIRE P, AZIZI A. Diaspora Knowledge Networks. In : Migration and Internet. Theoretical Approaches and Empirical Findings, 2009.
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